Le dimanche 7 décembre, le Bénin a failli basculer à son tour dans le cercle grandissant des pays africains où l’armée a repris la main sur le politique ces cinq dernières années. Un coup de force qui, s’il avait abouti, aurait balayé d’un revers de main plus de trois décennies d’efforts patiemment consentis pour stabiliser les institutions. Et c’est sans doute cette longue tradition de stabilité – dont le pays de Patrice Talon demeure l’un des symboles en Afrique de l’Ouest – qui a contribué à enrayer la tentative. A cela s’ajoute la naïveté confondante dont les mutins ont fait preuve dans la préparation de leur opération, visiblement séduits par la vague de putschs qui souffle sur la région. Ils semblaient penser qu’il suffirait d’un communiqué martelé à la télévision nationale, enrobé d’un discours populiste, pour s’installer au sommet de l’Etat et disposer à leur guise de ses ressources.
On avait dit du coup d’Etat d’Abdourahmane Tiani contre Mohamed Bazoum qu’il était absurde. Celui, heureusement avorté, de Cotonou apparaît pourtant encore plus incompréhensible. Certes, le processus électoral actuel fait l’objet de critiques ; beaucoup dénoncent un paysage politique verrouillé au profit du camp de Patrice Talon. Le bilan du président en matière de libertés publiques et de droits humains n’est pas non plus exempt de reproches. Plus globalement, son attitude jugée parfois arrogante envers ses opposants nourrit un mécontentement réel. Mais rien de tout cela ne justifiait le gouffre dans lequel le lieutenant-colonel Pascal Tigri et ses acolytes étaient prêts à précipiter le pays. D’autant plus que le président qu’ils prétendaient renverser se trouve à cinq mois de la fin de son mandat. Dans un contexte africain où la dérive des troisièmes mandats devient la norme, il paraît difficile d’emporter l’adhésion populaire en voulant renverser un chef d’Etat qui, lui, s’apprête à quitter le pouvoir dans les délais.
Ce putsch manqué semble surtout calqué sur les dynamiques observées dans la sous-région, notamment au Burkina Faso et au Niger. Les mutins paraissent avoir été séduits par le scénario désormais familier de militaires jusque-là inconnus, accédant brusquement au pouvoir et recevant dans un premier temps les encouragements d’une partie de l’opinion publique, avant de s’installer durablement aux commandes. Le tout dans un contexte où ni la CEDEAO, ni les partenaires internationaux ne réagissent avec la fermeté d’antan. La normalisation des coups d’État a, de toute évidence, inspiré des ambitions mal maîtrisées. C’est probablement ce qui a nourri la démarche aventureuse du lieutenant-colonel Tigri.
Mais les putschistes ont ignoré un élément essentiel : chaque pays possède des réalités qui déterminent les chances de réussite ou d’échec d’un coup d’Etat. Au Bénin, le premier facteur défavorable est précisément l’enracinement de la stabilité politique. Si le pays a connu des turbulences dans les premières années postindépendance, son dernier coup d’Etat remonte à 1972. Et depuis 1990, le Bénin fait partie des rares nations de la sous-région à avoir assuré des transitions pacifiques à travers des scrutins relativement consensuels. On ne renverse pas un tel acquis avec une mise en scène improvisée. Il était illusoire d’espérer rallier l’armée autour d’un communiqué standardisé, copié-collé des discours entendus dans d’autres pays de la région.
La suite a montré à quel point les mutins avaient sous-estimé la réalité. Portés par une incroyable légèreté, ils semblaient persuadés que quelques coups de feu à Cotonou et la prise de la télévision nationale suffiraient à faire s’écrouler le pouvoir « comme une mangue mûre », et à déclencher la liesse populaire. Or, le Bénin n’est ni inondé par le djihadisme, ni confronté à une crise sociale comparable à celle de Madagascar. L’échec rapide et net du coup de force leur a donné tort. Et c’est tant mieux. Car il était temps que cette sombre spirale se heurte enfin à un mur. Qu’au nom de la CEDEAO, le Nigéria y ait contribué n’est pas la moindre des satisfactions.
Boubacar Sanso Barry


