Dans quelques jours, 135 cardinaux de moins de 80 ans se réuniront à huis clos dans la chapelle Sixtine. Leur mission : désigner le successeur du pape François, décédé le 21 avril. Selon la tradition, le conclave débutera entre le 5 et le 10 mai, soit deux à trois semaines après la disparition du souverain pontife. À l’abri des regards, dans un secret absolu, les cardinaux procéderont à une série de votes jusqu’à parvenir à une majorité des deux tiers – condition indispensable pour élire le nouveau chef de l’Église catholique. Un vote lourd de sens, un choix qui orientera l’avenir spirituel et politique de plus d’un milliard de fidèles. Parmi les figures évoquées avec insistance, pour remplacer François, un nom revient avec force : celui du cardinal guinéen Robert Sarah, 79 ans, acteur influent de l’Église africaine. Pour décrypter les enjeux de cette succession inédite, nous avons rencontré Augustin Gnimassou, sociologue et enseignant-chercheur.
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Ledjely.com : Alors que le monde catholique est en deuil, les regards se tournent vers l’avenir. Le nom de Robert Sarah est souvent cité. Qu’est-ce qui, selon vous, fait la force de sa candidature ?
Augustin Nimassou : Son engagement profond dans la foi et sa stature au sein de l’Église sont indéniables. De plus, dans le contexte mondial actuel, marqué par une résistance à ce qui est perçu comme des déviations des valeurs traditionnelles, son profil rigoriste pourrait séduire une partie importante du collège cardinalice. La « lutte contre le wokisme », menée par des figures comme Donald Trump, trouve un écho chez de nombreux chrétiens orthodoxes — et même au-delà. L’attachement du cardinal Sarah à l’ordre moral et aux fondements judéo-chrétiens peut être perçu comme une ancre dans un monde en mutation.
Ce «rigorisme» que vous évoquez est également présenté comme un potentiel désavantage. Pourriez-vous développer ce point ?
Effectivement. Si son attachement strict aux traditions peut séduire certains, il pourrait aussi rebuter ceux qui aspirent à une Église plus ouverte et inclusive. Certains, même au sein de l’Église africaine, le considèrent comme trop intransigeant. C’est un équilibre délicat.
On dit que Robert Sarah est plus proche des idées de Benoît XVI que de celles du regretté pape François. Cela pourrait-il affecter ses chances ?
Cette proximité avec la pensée de Benoît XVI n’est pas forcément un désavantage. Il existe une dimension peu connue de la renonciation de Benoît XVI. À l’époque, des courants puissants au sein de l’Église poussaient à des réformes, notamment concernant l’intégration des homosexuels. Benoît XVI, homme lui aussi très rigoriste et mentor intellectuel de Robert Sarah, ne souhaitait pas engager l’Église dans cette voie sous la pression. Son retrait a peut-être ouvert la voie à l’élection de François, dont l’une des missions semblait être d’impulser ces réformes. Aujourd’hui, avec le décès de François, et le recul qu’il avait amorcé face à la ferme opposition de l’Église africaine sur ces questions, le contexte a évolué. Les courants réformateurs semblent avoir perdu de leur vigueur, ce qui pourrait favoriser un candidat comme Robert Sarah.
L’Église africaine semble jouer un rôle central dans votre analyse. Comment son poids et ses positions pourraient-ils influencer le conclave ?
L’Église africaine est aujourd’hui un acteur majeur, la plus vivante et la plus dynamique. Son unité face à certaines réformes proposées par le pape François — notamment sur la bénédiction des couples homosexuels — a démontré sa force et son influence. Si les prélats africains parviennent à s’unir derrière la candidature de Robert Sarah, cela pourrait considérablement augmenter ses chances. Cependant, comme je l’ai mentionné, même au sein de l’Église africaine, des divergences existent quant à son rigorisme. Un « sursaut » d’unité serait donc crucial.
Vous soulignez que « ceux qui votent, normalement, ne sont pas influençables » et que le vote se déroule « à huis clos ». Quels sont alors les facteurs déterminants dans le choix du prochain pape ?
En théorie, les cardinaux électeurs sont guidés par leur conscience et leur foi. L’isolement complet durant le conclave vise à garantir leur liberté de choix. Cependant, des affinités théologiques, des visions différentes de l’avenir de l’Église et des dynamiques interpersonnelles jouent inévitablement un rôle. La capacité de Robert Sarah à rassembler au-delà de son propre courant sera déterminante.
Finalement, au-delà de Robert Sarah, quels autres noms pourraient émerger comme des candidats sérieux ?
Il est difficile de faire des pronostics précis. D’autres cardinaux, représentant différentes sensibilités au sein de l’Église, sont certainement en lice. Il faudra observer attentivement les signaux qui émergeront dans les jours et les semaines à venir.
Interview réalisée par Binty Ahmed Touré