Il serait sans doute exagéré de crier au risque de disparition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN). Mais en revanche, il est clairement établi que cette compétition phare du football africain peine à affirmer son existence pleine et entière dans l’architecture du football mondial. La 35ème édition, qui a démarré ce dimanche 21 décembre au Maroc, illustre parfaitement cette crise existentielle. Organisée de manière inhabituelle en décembre, jusqu’à la mi-janvier, elle s’inscrit dans une séquence de réajustements qui interrogent à la fois la cohérence sportive de la CAN et la place réelle de l’Afrique dans la gouvernance internationale du football. Le choix de cette période révèle avant tout l’incapacité chronique de la Confédération africaine de football (CAF) à imposer un calendrier stable à une compétition pourtant vieille de près de 70 ans. Pire, cette instabilité est désormais consacrée par l’annonce de l’abandon du cycle biennal au profit d’un format quadriennal. Une évolution présentée comme une réforme stratégique, mais qui apparaît surtout comme l’aveu d’une perte d’influence.
Au cœur de cette fragilité se trouve le bras de fer récurrent entre la CAF et les clubs européens, peu disposés à libérer leurs joueurs africains en pleine saison. Ce conflit n’est pas nouveau. Depuis plus de deux décennies, il resurgit à la veille de chaque CAN. Mais durant l’ère d’Issa Hayatou, la CAF avait su faire preuve d’une certaine fermeté. Le dirigeant camerounais, fort de son expérience et de son réseau, parvenait à défendre les intérêts du continent face aux pressions extérieures.
Cette capacité de résistance s’est progressivement érodée après son départ. Le passage d’Ahmad Ahmad à la tête de la CAF, marqué par des scandales de gouvernance, a installé une forme de fébrilité institutionnelle. Mais c’est surtout sous la présidence de Patrice Motsepe que le virage s’est accentué. Homme d’affaires avant d’être homme de football, le Sud-Africain semble concevoir la CAN avant tout comme un produit économique. Dans cette logique, la recherche de rentabilité prime sur la cohérence sportive et sur la mission historique de la compétition.
Or, cette vision se heurte aux réalités africaines. Le continent n’est pas encore structuré pour transformer instantanément ses compétitions en machines à cash comparables à celles de l’Europe. Pire, en s’alignant sur les priorités financières de la FIFA, la CAF s’expose à une perte d’autonomie stratégique accrue. L’influence grandissante de l’instance dirigée par Gianni Infantino renforce la dépendance de l’Afrique, au détriment de ses propres choix.
Cette évolution marque par ailleurs une rupture avec la philosophie originelle de la CAN. A la base, la compétition ne visait pas uniquement la performance sportive ou la rentabilité économique. Elle devait aussi servir de levier de développement. En accueillant la CAN, les pays hôtes étaient contraints d’investir dans les infrastructures sportives, mais aussi dans les routes, les hôtels, les aéroports et les services. La CAN était ainsi un catalyseur de modernisation et de visibilité pour des Etats souffrant d’importants déficits et plutôt marginalisés.
Aujourd’hui, cette dimension semble reléguée au second plan. L’obsession des revenus, des droits télévisés et des partenariats commerciaux tend à vider la CAN de sa singularité. Le risque n’est pas tant la disparition de la compétition que sa banalisation, voire sa dilution dans un calendrier mondial qui ne lui est pas favorable.
Ainsi, derrière les projecteurs des stades marocains et l’enthousiasme populaire qu’elle va susciter durant la compétition, la CAN 2025 pose le doigt sur la souveraineté du football africain. Tant que la CAF ne retrouvera pas une vision claire, autonome et enracinée dans les réalités du continent, la CAN restera le reflet d’une Afrique sportive qui peine encore à peser sur son propre destin. Comme c’est déjà le cas de nombreux autres domaines.
Boubacar Sanso Barry


