Action chrétienne pour l’abolition de la torture (ACAT-France) appelle à la mobilisation pour la libération des responsables du Front national pour la défense de la constitution (FNDC), détenus depuis le 30 juillet dernier. L’ONG française qui dénonce par ailleurs une gestion « unilatérale et autoritaire » du pays par la junte du CNRD, écrit en outre une lettre ouverte à l’adresse du ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Alphonse Charles Wright, auprès de qui elle de « libérer immédiatement ces deux leaders de la société civile et à lever toutes les charges retenues à leur encontre »
Ci-dessous le communique d’ACAT-France
Oumar Sylla – coordinateur du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), coordinateur adjoint de Tournons La Page Guinée (TLP-Guinée) – et Ibrahima Diallo – coordinateur de TLP-Guinée, responsable des opérations du FNDC – sont emprisonnés arbitrairement depuis le 30 juillet 2022. La junte militaire au pouvoir a arrêté ces deux leaders charismatiques de la société civile pensant que leur détention aurait mis un terme à la remobilisation citoyenne en cours en faveur du retour rapide à l’ordre constitutionnel.
Les deux militants ont été arrêtés à leurs domiciles respectifs le 30 juillet, vers 2h du matin pour Oumar Sylla et aux environs de 18h pour Ibrahima Diallo, par des militaires et gendarmes encagoulés et lourdement armés puis emmenés vers une destination inconnue. Ce n’est que vers 15h que la famille d’Oumar Sylla a été informée de son lieu de détention : le haut commandement de la gendarmerie, à Conakry. Ibrahima Diallo y a également été incarcéré. L’arrestation d’Oumar Sylla est intervenue en dehors des horaires autorisés par la loi guinéenne qui interdit toute arrestation à domicile entre 21h et 6h du matin.
Les deux leaders de la société civile sont inculpés de « participation à un attroupement interdit, pillages, destruction de biens publics et privés, incendies et de coups et blessures volontaires » pour des faits survenus lors des manifestations réprimées des 28 et 29 juillet 2022. Ils sont actuellement détenus au sein de la prison civile de Conakry.
La santé d’Oumar Sylla est fragile. Il a été admis à l’hôpital, pour des examens médicaux, le 16 août 2022 « suite aux traumatismes que les forces de défense et de sécurité lui ont fait subir lors de ses dernières arrestations ».
À la suite de l’appel interjeté par les avocats de la défense demandant une remise en liberté provisoire des deux militants, la chambre de contrôle de l’instruction de la cour d’appel de Conakry a confirmé, le 31 août 2022, la décision du juge d’instruction du tribunal de première instance de Dixinn de les maintenir en détention provisoire.
C’est la deuxième fois, au cours du mois de juillet 2022, qu’Oumar Sylla est arrêté. Le 5 juillet dernier, il avait été interpellé violemment à Conakry alors qu’il animait une conférence de presse. Deux autres activistes, Billo Bah – membre de TLP-Guinée – et Djanii Alpha – membre du FNDC – avaient également été arrêtés et, tous les trois, transférés à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Ils avaient été libérés le 8 juillet 2022 à la suite d’une relaxe prononcée par le tribunal de première instance de Dixinn.
Par ailleurs, le arde des Sceaux, ministre de la Justice et des droits de l’homme guinéen, M. Charles Wright, a demandé au Parquet général de Conakry d’engager des poursuites contre Sékou Koundouno – responsable stratégies et planification du FNDC – pour « diffamation » et « divulgation de fausses informations » suite à la dénonciation, le 1er août 2022, de la répression des manifestations citoyennes au Procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI).
L’arrestation de ces deux leaders de la société civile est une nouvelle atteinte portée à la liberté d’expression et de rassemblement pacifique en Guinée.
Contexte
Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) est une coalition de partis politiques, de syndicats et d’organisations de la société civile, qui a été créée en avril 2019 pour protester contre la volonté du président Alpha Condé de changer la Constitution guinéenne afin de pouvoir briguer un troisième mandat.
Depuis le coup d’Etat mené le 5 septembre 2021 par le Colonel Mamady Doumbouya contre le président Alpha Condé au pouvoir depuis 2010, la junte militaire au pouvoir – dénommée Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) – gère de manière unilatérale et autoritaire le pays. Jusqu’à ce jour, les putschistes refusent d’engager un réel dialogue inclusif avec la classe politique et la société civile afin de convenir d’un calendrier et de modalités raisonnables pour le rétablissement pacifique de l’ordre constitutionnel en Guinée. La junte au pouvoir affirme simplement vouloir remettre le pouvoir à des civils élus dans un délai de trois ans.
Pour faire taire toute critique, notamment celle du FNDC qui demande un retour rapide à la démocratie, le CNRD s’est engagé dans une politique de restriction des libertés publiques et de répression des voix dissidentes plongeant la Guinée dans un nouveau cycle répressif.
Violations du droit à la liberté de réunion pacifique
Le 13 mai 2022, le CNRD a annoncé l’interdiction de « toutes manifestations sur la voie publique de nature à compromettre la quiétude sociale et l’exécution correcte des activités contenues dans le chronogramme, pour l’instant jusqu’aux périodes de campagnes électorales » en violation du droit international garantissant le droit de réunion pacifique des Guinéens. Le droit à la liberté de réunion pacifique est protégé par l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et par l’article 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Cette décision contrevient également à la Charte de la transition mise en place par le CNRD et signée le 27 septembre 2021 par le chef de l’État, dont l’article 34 stipule que « les libertés d’association, de réunion, de presse et de publication sont garanties ».
Répression des manifestations et usage de la force létale
Les 28 et 29 juillet 2022, les manifestations organisées par le FNDC dénonçant la « gestion unilatérale de la transition » par la junte, interdites par les autorités, ont été violemment réprimées. Les forces de l’ordre ont tiré à balles réelles sur les manifestants alors qu’ils protestaient dans les rues de Conakry causant la mort de cinq personnes et blessant au moins trois autres. Plus d’une centaine de personnes ont été arrêtées dont de nombreux mineurs. Les manifestations du 17 août dénonçant les dérives de la junte et exigeant une gestion plus transparente de la transition ont également été réprimées dans le sang. Deux adolescents ont été tués par les balles des forces de l’ordre à Conakry au cours de cette journée.
Une politique de harcèlement et d’intimidations à l’endroit du FNDC
Le gouvernement guinéen a annoncé, le 6 août 2022 – dans un arrêt ayant fuité sur les réseaux sociaux le 8 août – dissoudre le FNDC affirmant que « leur mode opératoire se structure par des actions violentes au cours de manifestations interdites, des attaques contre des individus qui ne partagent pas leur idéologie, et des actions ciblées contre les forces de l’ordre ». Pour les autorités en place, le FNDC « ne figure pas sur la liste des ONG en Guinée, ni sur la liste des collectifs d’association […] et encore moins dans le répertoire des ONG agréées en République de Guinée ». Cette dissolution est avant tout une posture communicative car le FNDC, en tant que collectif, n’a pas de statut juridique propre. Il ne peut donc pas être dissout légalement. Le FNDC rejette par conséquent sa dissolution, dénonçant une « intimidation » de la part du CNRD au pouvoir.
Préoccupations internationales face à la détérioration de la situation en Guinée
Le 15 août 2022, la Haute-Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Michelle Bachelet, a adressé une lettre au président de la transition guinéenne, le colonel Mamadi Doumbouya afin de lui faire part d’un certain nombre de préoccupations concernant la situation en Guinée. Pour le HCDH, la répression des manifestations des 28 et 29 juillet, « pourrait constituer des violations des droits de l’homme ». La responsable onusienne encourage le gouvernement à ouvrir des enquêtes afin que les auteurs soient traduits en justice et appelle à la libération des membres de l’opposition politiques et de la société civile et au respect de leurs droits fondamentaux.
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