Les deux procès se tiennent à plus de 6000 km, l’un de l’autre. Ils commencent à deux jours d’intervalle, le premier à la Haye, au Pays-Bas, siège de la CPI, le second, à Conakry, en Guinée. Mais dans les deux cas, il est question d’horreurs et de sévices insoutenables que des humains, forts et se croyant invincibles et invulnérables sur le moment, ont impitoyablement infligés à d’autres humains, en raison de leurs opinions ou du fait de leur opposition légitime à la conduite des affaires dans leurs pays respectifs, la Centrafrique et la Guinée. Ces procès sont donc avant tout un hommage aux victimes qui portent sur leurs corps et dans leur chair des blessures qui peinent à se cicatriser. Des victimes dont certaines pleurent également la perte d’un être cher emporté par les affrontements fratricides auxquels donnent lieu les compétitions pour la conquête ou l’exercice du pouvoir sous nos tropiques. Et c’est en cela que les jugements de Mahamat Saïd Abdel Kani, l’ex-commandant de la Séléka, d’une part, et du massacre du stade du 28 septembre, de l’autre, sont aussi un avertissement pour tous ceux qui se laissent encore enivrés par le pouvoir et ses privilèges éphémères.
De la répression du banditisme à la CPI
Que Mahamat Saïd Abdel Kani se retrouve dans le box des accusés, cela relève d’un certain paradoxe. En effet, c’est au nom d’un office en charge de la répression du banditisme qu’il a commis les crimes pour lesquels il est ainsi trainé devant la justice. Alors a-t-il fait dans l’excès de zèle ou bien a-t-il tout simplement trahi la mission qui lui était assignée ? En tout cas, l’accusation lui impute des charges de détention, de torture et de toutes sortes de sévices infligées entre avril et août 2013 à des prisonniers qui étaient transférés dans les geôles de l’Office central de répression du banditisme (OCRB) dont il était le commandant. François Bozizé, l’ancien président centrafricain venait alors d’être renversé par la Séléka. Obnubilés par le désir de consolidation de leur pouvoir, le commandant Saïd et les agents qu’il avait sous sa responsabilité n’ont pas fait de détail. Tous ceux qui avaient le malheur d’être perçus par eux comme étant de la milice rivale des anti-balaka devaient le payer cher. Accusé par Amnesty International d’actes de tortures, de persécutions et même de disparitions forcées, le commandant Mahamat Saïd Abdel Kani, transféré à la CPI en janvier 2021, va donc devoir rendre compte. Pour l’instant, il nie les accusations portées à son encontre. Mais quand les victimes devant témoigner commenceront à relater les tortures qu’il leur a fait endurer, ce devrait être moins évident de garder cette posture de déni.
Plus d’une centaine de femmes violées
A Conakry aussi, c’est un procès symbole qui s’ouvre ce mercredi 28 septembre. Treize ans jour pour jour après les horribles événements qui ont à jamais rendu sinistre cette date incarnant jadis la fierté du peuple de Guinée. Là, ce n’est pas qu’un mais douze prévenus qui sont attendus dans le box des accusés. Parmi eux, le capitaine Moussa Dadis Camara devrait attirer toutes attentions. L’ancien chef de la junte est en effet de retour dans la capitale guinéenne, pour faire face à la justice et avec l’espoir qu’il sera disculpé. Là aussi, il est question d’horreurs et du sang. A l’époque, le Forum de forces vives de la Nation, composé de partis politiques, syndicats et organisations de la société civile, soupçonnant le capitaine Moussa Dadis Camara, de se porter candidat à la présidentielle devant parachever la Transition, appellent à une manifestation pour dénoncer ces velléités. Mais cette contestation n’est décidément pas du goût de tous les membres de la junte. C’est ainsi qu’alors que le stade était rempli de militants tout aussi joyeux que déterminés, des hommes en uniforme font irruption sur la pelouse et se mettent à tirer sans distinction. Les manifestants tombent comme des mouches. Les assaillants, résolus à sanctionner l’affront des protestataires comme il se doit, ne se limitent pas à tuer. Ils se saisissent aussi des femmes qu’ils violent à ciel ouvert. Une commission internationale d’enquête dépêchée par les Nations unies devait dénombrer 157 morts, plus d’une centaine de femmes violées et de nombreux blessés à vie.
Pendant le temps que durera le procès, le pays tout entier devrait se replonger dans ce traumatisme collectif. Avec l’espoir que les victimes qui commençaient à désespérer auront droit à la vérité qu’elles réclament tant et que le pays dont l’histoire demeure jalonnée par de nombreux épisodes sombres du même type, en tirera toutes les leçons pour la suite de son parcours.
De héros à zéro
Si ces deux procès sont conduits comme il se doit, ils devraient donc en premier lieu répondre aux attentes légitimes des victimes. Mais au-delà, ce pourrait être un exemple et une mise en garde pour tous ceux qui, au sommet de leur toute-puissance, ont tendance à oublier le caractère éphémère des choses. En particulier, ceux qui sont aujourd’hui au sommet des Etats guinéen et malien devraient bien s’en inspirer. En effet, ils semblent quelque peu imbus de leur pouvoir du moment. Or, ceux qui sont aujourd’hui jugés étaient exactement à leurs places il y a quelques années. C’est dire qu’on peut se rêver en héros et finir en zéro. Tout est question de méthode, d’humilité et de sens de l’histoire. D’ailleurs, le message vaut également pour le président de la RCA, Faustin-Archange Touadera. Lui qui pourrait accentuer la crise dans son pays par son entêtement à vouloir s’octroyer un troisième mandat immérité.
Boubacar Sanso Barry