La Guinée vient de réussir une prouesse extraordinaire. Comme pour confirmer que les Guinéens, en période de transition ou non, ont un incroyable talent. Choyé et bénéficiant d’une complaisance particulière de la part de la communauté internationale, la CEDEAO en tête, notre pays vient de passer au premier rang des pays perçus comme perturbateurs dans la sous-région. Conséquence, pour la première fois depuis la chute du régime du président Alpha Condé, la Guinée vient de se faire sermonnée à l’issue d’un sommet de l’organisation sous-régionale. Comment expliquer un tel paradoxe dans la conduite de notre diplomatie ?
Deux contextes favorables
En arrivant à la tête du pays, le 5 septembre 2021, le colonel Mamadi Doumbouya a tout de suite bénéficié de deux contextes favorables. Le premier, c’est la relation tendue voire conflictuelle que le Mali voisin entretenait avec la CEDEAO et la France. Or, surfant très habilement sur le sentiment anti-français, la junte malienne avait réussi à monter l’opinion publique de l’ensemble de la région contre la CEDEAO dont les dirigeants étaient décrits à longueur de journée sur les réseaux sociaux comme étant des valets de l’ancienne puissance coloniale. Et pour le Mali, la victimisation était si facile que les sanctions imposées au pays passaient pour extrêmes aux yeux de tout le monde. Dans un tel contexte, il aurait été risqué pour l’organisation sous-régionale d’aborder le colonel Mamadi Doumbouya avec le langage de la fermeté. Il s’y ajoutait que la France dont les relations avec l’ancien président Alpha Condé s’étaient détériorées, explorait la possibilité d’une meilleure collaboration avec le colonel Doumbouya. Surtout, Emmanuel Macron qui avait conscience du sentiment de rejet dont son pays fait l’objet dans la sous-région, savait qu’il devait quelque peu ménager le nouveau maître de Conakry pour ne pas le pousser lui aussi dans les bras de Poutine.
Marges de manœuvre
Surfant sur ces deux facteurs, les autorités guinéennes ont conséquemment pu disposer de marges de manœuvres plus grandes. C’est ainsi qu’elles ont pu tout au début opposer un niet catégorique à la volonté de la CEDEAO d’envoyer un médiateur en Guinée. Même si plus tard, devant l’évidence de la nécessité du choix d’un facilitateur, elles ont argué que c’est la personne du diplomate ghanéen, Mohamed Ibn Chambas, qui posait problème. De même, alors qu’on exigeait des militaires maliens qu’ils s’en aillent le plus rapidement possible, sévères restrictions à la clé, le CNRD a pu s’offrir plus d’un an de bonus, avant que le compromis dynamique ne soit signé en octobre dernier. A chaque fois qu’on a pensé que la CEDEAO tiendrait un langage de fermeté, la Guinée s’en était sortie indemne. On se souvient d’ailleurs, à ce sujet, des réponses cinglantes que le colonel Amara Camara, ministre secrétaire général à la présidence de la République, et Bernard Goumou, le premier ministre, avaient tous deux réservées à une des sorties du président en exercice de la CEDEAO, Umaro Sissoco Embalo.
Le CNRD, une junte qu’il ne fallait pas braquer
Quant à la France, même si on devine qu’elle n’était pas du tout mécontente des sévères sanctions imposées au Mali, elle n’aura pas levé le moindre doigt quand le colonel Mamadi Doumbouya a dit qu’il n’était pas question que la Guinée ferme sa frontière avec le voisin du nord. Mieux, l’ancienne puissance coloniale s’est empressée de reprendre en douce la coopération sécuritaire et militaire avec la Guinée. Tout ça, parce qu’il ne fallait pas braquer la junte guinéenne et risque de la radicaliser.
Abus du statut particulier
Mais la Guinée a manifestement fini par abuser de ce statut particulier qu’on lui a jusqu’ici concédé. Trois éléments illustrent cet abus, aux yeux de la CEDEAO notamment. Le premier, c’est la mise en place de manière unilatérale du comité de suivi-évaluation de la mise en œuvre du chronogramme de la Transition. Que le colonel Mamadi Doumbouya et ses camarades n’aient pas jugé utile d’associer l’organisation sous-régionale à la mise en place de cet organe stratégique, les dirigeants des pays de la sous-région y ont vu un excès de liberté qu’il ne fallait pas laisser passer. D’où le rejet dudit comité à l’issue du sommet extraordinaire tenu le samedi dernier à Addis-Abeba, en marge du 36ème sommet de l’Union africaine. Le deuxième élément, c’est la participation du ministre des Affaires étrangères à cette rencontre de Ouagadougou où il était question de discuter du projet de fédération entre les trois pays en transition. Au-delà du fait que l’initiative n’ait pas fait l’objet de consultations préalables à l’intérieur de chacun des Etats, les chefs d’Etat et de gouvernement y ont vu une démarche tendant à remettre en cause le projet d’intégration via la CEDEAO. Que la Guinée s’associe à une telle aventure peut passer pour une forme de trahison vis-à-vis de ceux qui jusqu’ici se sont montrés plutôt doux à l’égard du colonel Mamadi Doumbouya et son équipe. Enfin, la Guinée a également fait le choix d’ignorer jusqu’ici la recommandation relative au dialogue national inclusif. Une recommandation qui date du 4 décembre dernier et à laquelle les autorités guinéennes opposent invariablement que « le dialogue est derrière nous ».
Tonalité singulière
Autant d’éléments qui ont fini par convaincre la CEDEAO qu’il lui fallait hausser un peu le ton à l’égard de la Guinée. Sinon, elle courait le risque de voir son poulain participer à la sape de son autorité. D’où la tonalité singulière que l’on a retrouvée dans le communiqué final du dernier sommet de l’organisation.
Boubacar Sanso Barry