De quel que bout que l’on prenne le 28 septembre, cela reste un événement de sinistre mémoire dans l’histoire de la Guinée. Ce lundi 29 janvier 2024, à la suite de l’ancienne directrice nationale de l’hôpital Donka, c’est Dr. Namory Keïta, chef service Gynécologie à l’époque des faits, qui est passé à la barre pour donner, lui aussi, sa version du massacre. Ce jour-là, lui et son assistant étaient en service à Donka, quand ils ont entendu les coups de feu venant du stade. Très vite, ils sont informés qu’il y a des blessés et des femmes violées. A un moment donné, ils sortent les ambulances et s’ébranlent en direction du lieu du massacre. Mais pour eux, ça n’a pas été évident de mettre la main sur les blessés, dans un contexte où ces derniers et ceux qui les hébergeaient, notamment dans les quartiers Dixinn Boro et Landréah, se méfiaient des bérets rouges qui rodaient dans les alentours, en vue de faire disparaître les indices de la sanglante répression.
Quand Dr. Namory et son équipe sont arrivés à l’esplanade du stade du 28 septembre, il n’y avait pas grand-monde sur place. Le stade était même fermé. « Je suis descendu avec l’infirmière pour demander aux policiers, vêtus de bleu et casqués. Je me suis présenté au policier qui était devant moi et lui ai dit que nous venions chercher les blessés s’il y en a. Il m’a demandé de lui permettre de se référer à sa hiérarchie. Je lui ai dit que nous devons au plus vite prendre les blessés en charge ». Mais contre toute attente, après son appel, le policier lance au médecin gynécologue : « Ne vous en faites pas. Nous n’en avons pas besoin. Nous avons tout ce qu’il faut pour prendre en charge les blessés. Et nous allons vous les envoyer à l’hôpital, si nécessaire » !
Au ton que le policier avait utilisé, les médecins comprennent qu’ils devaient s’en aller au plus vite. Vu qu’ils avaient appris que des blessés s’étaient réfugiés dans les quartiers alentours, ils ont donc pris les directions de Landréah Port et de Dixinn Boro, les cinq ambulances se suivant en file. « A Landréah Port, nous avons été suivis par une patrouille de bérets rouges qui nous ont arrêtés ». Ces derniers leur soumettent à un interrogatoire intense : « Qu’est-ce que cela ? De toutes les façons, tous ceux qui ont fait des conneries, nous allons les avoir et les sanctionner à la hauteur de leur forfaiture ».
Le chef de l’équipe d’intervention leur répond que lui et ses compagnons n’étaient que des médecins qui font juste leur travail. « L’anesthésiste qui était avec moi m’a dit de ne discuter avec personne et qu’il fallait que l’on continue. Sur ce, ils nous ont laissé aller, sans violence », reconnait Dr. Namory Keïta.
Mais dans les quartiers, il n’a pas été facile de retrouver les blessés. « Comme il y avait beaucoup de bérets rouges, les gens avaient peur de dire qu’ils ont hébergé des blessés. Ils nous faisaient signe avec les mains. Nous aussi, de la main, nous leur disions que nous reviendrions après. (…) Après le tour dans les quartiers, on a réussi à récupérer les blessés qui n’étaient pas graves, que nous avons déposés à l’hôpital pour des soins ».
Mais en réalité, même dans l’enceinte de l’hôpital, les pauvres blessés n’étaient pas à l’abri des bourreaux qui les guettaient. « Entre temps, il y a eu des militaires, je ne sais pas d’où ils venaient, qui ont essayé de s’introduire dans l’hôpital et ils ont jeté une grenade dans la cour de l’hôpital en créant de la panique… peu après, la situation s’est calmé. On a commencé à recevoir les femmes qui ont été violées », rapporte en effet Dr. Keïta
Après l’interrogatoire du témoin par les différentes parties au procès, le président du tribunal a renvoyé l’audience a demain mardi 30 janvier 2024.
Aminata Camara