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Interview : « Face au réel, le RN n’a pas fini de reculer »

Que se passera-t-il pour les migrants notamment africains vivant en France, si, comme le prédisent les sondages, le Rassemblement national (RN) sortait vainqueur des législatives du 30 juin et du 7 juillet prochains ? Devrait-on assister à des vols charters ramenant des compatriotes qui y vivent ? Les binationaux seraient-ils immédiatement renvoyés des lieux où ils travaillent ? Amadou Bah, un franco-guinéen que la rédaction du Djely a sollicité, n’envisage pas le futur sous traits aussi sombres. Certes, des choses pourraient changer. Mais de là à ce qu’on renverse la table, il n’y croit pas. A son corps défendant, selon lui, le RN fera face à une réalité avec laquelle il devra composer.  

Ledjely.com : En tant que Guinéen, résident en France, comment vous accueillez cette arrivée probable du Rassemblement national ?

Amadou Bah : Je préfère vous le dire clairement, cette perspective ne me réjouit guère. Mais plus globalement, votre question souligne une préoccupation majeure concernant les politiques migratoires en Europe et leur impact potentiel sur les droits des personnes exilées. Aujourd’hui, ce qui se joue au niveau européen et particulièrement en France pourrait avoir un grave impact sur la vie des étrangers en général et leurs droits.

Ces dernières années, les politiques migratoires européennes ont marqué un net recul pour les droits et les conditions de vie des personnes exilées.

L’adoption récente du Pacte sur la migration et l’asile présente de nombreux dangers pour celles et ceux qui cherchent refuge en Europe. Face à la montée de l’extrême-droite et aux besoins croissants de protection des personnes à l’échelle mondiale, le Parlement européen a une responsabilité historique.

Les parlementaires européens doivent et peuvent s’engager en faveur d’une politique garantissant le respect des droits fondamentaux et l’accueil digne des personnes en besoin de protection. Ils doivent particulièrement veiller à garantir :

  • Une politique d’accueil et d’accès au territoire européen qui protège les vies humaines et permette un examen individuel des situations ;
  • Un financement des politiques d’asile et d’immigration prenant en compte les besoins des personnes et des acteurs de l’accueil.

Plus concrètement, l’arrivée éventuelle de Jordan Bardella à Matignon va-t-elle affecter les étrangers vivant sur le territoire français ?

C’est une très pertinente question. Car l’importance des principes d’humanisme et de fraternité dans le contexte politique actuel est un impératif politique. Par ailleurs, le droit d’asile, en Europe, comme en France, est un pilier fondamental de la protection des droits de l’homme.

Les cadres juridiques européens, tels que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et le Traité sur le fonctionnement de l’UE, sont essentiels pour garantir que les États membres respectent les obligations liées à l’asile.

Le régime d’asile européen commun (RAEC) vise à harmoniser les pratiques en matière d’asile à travers l’UE, assurant ainsi une protection cohérente et équitable pour ceux qui en ont besoin. Ce cadre impose des directives et des règlements qui doivent être transposés dans les législations nationales des États membres, assurant ainsi un standard minimum de protection pour les demandeurs d’asile.

Malgré les défis et les tensions politiques, il est crucial de continuer à défendre et à renforcer ces principes et cadres juridiques pour garantir que le droit d’asile et les droits de l’homme soient respectés et protégés.

En matière d’immigration, plusieurs mesures sont au programme du RN notamment la suppression du droit du sol, le retour du délit de séjour irrégulier, etc. Qu’en pensez-vous ?

J’ai écouté M. Bardella, j’ai été saisi d’effroi en découvrant que les bi-nationaux seraient, en cas de victoire du RN, exclus des postes stratégiques de la fonction publique. Encore que sur ce point, il ne fait que rappeler une position ancienne et désastreuse des partisans de l’extrême droite. On sait d’où viennent ces gens-là : du régime de Vichy, de l’OAS et des tenants du colonialisme, même jeune, même cravatés. Mais pourront-ils fouler au pied les traités européens ou la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, je n’y crois pas une minute, ce serait la fin de l’Europe, même si celle-ci est mortelle, elle ne mourra pas demain.

Effroi car je suis un bi-national franco-guinéen. Et je n’exclus pas qu’avec l’arrivée éventuelle du RN au pouvoir, mon poste actuel dans une association, France terre d’asile, puisse être menacée. Car l’association en question est indirectement rattachée au ministère de l’intérieur, comme le dit mon Directeur du centre d’accueil des demandeurs d’asile de saint Denis. Vu qu’une partie du financement passe par ce ministère.

.Les postes évoqués sont ceux de hauts fonctionnaires, comme le directeur actuel franco-syrien de l’office de l’immigration, un homme remarquable et particulièrement efficace. Mais c’est un faux débat que lance l’extrême droite, car en France, pour tous les postes haut placés, le Gouvernement réalise déjà des enquêtes de personnalité et des évaluations et c’est fondé sur l’égalité d’accès. Ce n’est pas « exclure », mais voir la meilleure compétence : c’est efficace et bien différent.
Le rôle des politiques devrait être de tenter de rassembler plutôt que de diviser, voire de fracturer une société française déjà bien cabossée.

Le seul moment de l’histoire où l’on a exclu des Français des emplois publics en raison de leurs origines, c’est sous Vichy.

Cette vision héréditaire de la nationalité, qu’on voit aussi avec la proposition de suppression du droit du sol, c’est la matrice du RN, elle n’a jamais changé, il ne faut pas être dupe.

Le discours porté par le Front national depuis 30 ou 40 ans est contraire aux principes républicains et à la Constitution : que ce soit la préférence nationale, que ce soit la suppression du droit du sol, que ce soit ici le fait d’exclure les binationaux d’un certain nombre d’emplois.

Mais si vous avez bien entendu ce que dit Monsieur Jordan Bardella, il veut réserver ces emplois exclusivement à des citoyens français. Or, quand il parle de citoyen français, en fait, il veut dire citoyen français d’origine. C’est l’idéologie de Jean-Marie Le Pen, et historiquement de Vichy (Le seul gouvernement, en France, qui avait réservé aux Français d’ascendance française, de père français, un certain nombre d’emplois).
Et il n’y a absolument aucun doute, si un tel texte était pris, ça serait contraire à la constitution de 1958. Il y aura une saisine du Conseil constitutionnel et le projet de texte sera enterré. Point final.

Alors, à quoi sert de proposer l’adoption d’une loi contraire à la Constitution et qui n’aura donc pas de possibilité en réalité de passer ?

Au début, ils souhaitaient remettre en cause le principe même de la binationalité. Ensuite, il y a eu une proposition de loi constitutionnelle de janvier 2024 qui affirme que les binationaux n’auront pas accès à des emplois publics.

Et désormais, ce sont juste certains emplois qui seraient interdits aux binationaux.
Le RN a donc beaucoup reculé et je pense que face au réel, il n’a pas fini de reculer. Face à un gouvernement souverainiste du type RN, il existera une opposition radicale à l’assemblée nationale, comme dans les institutions : Justice, Sénat, etc.

La légitimité populaire des représentants politiques ne peut pas s’affranchir de l’État de droit.
Dans tous les régimes libéraux, les gouvernements ont cherché à affaiblir le pouvoir judiciaire pour limiter son influence. Je fais confiance aux juges français pour ne pas capituler.
Depuis 1515, le droit du sol permet à l’enfant d’un étranger né et résidant en France de devenir français.

En 1889, le principe devient un fondement de la République : l’accès à la nationalité française par la naissance sur le sol s’applique progressivement et de plus en plus fermement au fil des générations.

Il faut savoir que l’enfant d’immigré né en France n’est pas français à la naissance, comme il le serait aux Etats-Unis, mais le devient à sa majorité, tout en pouvant, s’il le veut, y renoncer.
A la génération suivante, l’enfant né en France d’un parent déjà né en France est irrémédiablement français : c’est ce qu’on appelle le double droit du sol. S’il veut totalement supprimer le droit du sol, le RN s’expose à l’inconstitutionnalité.

« Si l’idée est de basculer vers une logique de naturalisation par décret, qui suppose non seulement des conditions mais aussi une appréciation discrétionnaire par l’administration, alors se trouve un risque d’inconstitutionnalité car on rompt avec la logique de droit », dit Monsieur Jules Lepoutre, professeur de droit public à l’université Côte d’Azur.
« S’il était saisi, le Conseil constitutionnel devrait rechercher, dans les régimes républicains antérieurs à la Constitution de 1946, s’il se dégage un principe qui donne aux enfants nés en France de parents étrangers, la possibilité d’acquérir la nationalité », précise Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université Toulouse-Capitole.

C’est de la pure activité interprétatrice et le Conseil n’aura peut-être pas envie d’aller au clash.
Si le RN parvenait à ses fins, ce serait « gravissime », insiste l’historien Patrick Weil.
Cela engendrerait une déstabilisation de générations d’enfants soumis à des risques d’expulsion.
Soyons clairs : La France dispose heureusement de contre-pouvoirs : Conseil d’Etat, conseil constitutionnel, Sénat, pouvoir judiciaire vraiment indépendants. Je suis sûr que nombre de hauts fonctionnaires et de juges sauront résister, ou bien collaborer en tentant de contenir un gouvernement RN. Mais il faut surtout espérer que le RN n’ait pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale, le 7 juillet. Après l’erreur du Président de la République relative à la dissolution du parlement, ce qui reste de la classe politique française devra être discipliné et savoir se désister au second tour pour un républicain. Ce qui est certain avec le système des législatives en France c’est qu’on est incapable de connaître l’issue des scrutins locaux. Ce n’est pas une élection, mais 577 élections locales. Espérons que le bon sens et l’humanisme des français gagneront sur le terrain, loin des batailles parisiennes.

Propos recueillis par N’famoussa Sidby

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