Certes, l’écrivain Amadou Hampaté Ba suggérait que « les orteils des jeunes (puissent) se poser exactement sur les traces laissées par les anciens ». Pour autant, il n’est pas certain que le sage intellectuel, du Ciel où il observe les turpitudes de notre monde, apprécie particulièrement la tendance que le jeune président tchadien a de tout reprendre de son père. Y compris le caricatural. Parce que c’est de cela dont il s’agit dans cette élévation du général Mahamat Idriss Deby Itno au grade de Maréchal. En quoi était-ce nécessaire ? Quel en est le bien-fondé ? Qu’est-ce que cela va-t-il changer ? Un ensemble d’interrogations dont aucune réponse ne peut rendre compte de la pertinence de la décision des autorités tchadiennes. En sorte qu’à ce stade, on ne peut pas en tirer qu’un seul enseignement : le président tchadien vient de jeter les bases du culte de sa personnalité. Ce dont le Tchad et les Tchadiens ne doivent rien attendre de bon.
Le père avait dû attendre environ 70 ans et surtout pratiquement 30 ans d’exercice du pouvoir, pour s’octroyer le titre de Marechal du Tchad. Le fils, symbolisant sans doute une génération de dirigeants peu enclins à patienter, se donne ce titre à seulement 40 ans et à peine élu en mai dernier président de la République. Et comme du temps du père, on justifie cette distinction octroyée au jeune dirigeant tchadien par une prétendue défaite que ce dernier aurait infligée récemment aux rebelles de Boko Haram, à la suite d’une expédition punitive que le président tchadien aurait lui-même pilotée. Mais en réalité, qu’il consente à endosser un tel titre, cela ne peut que dévoiler son manque d’humilité et son arrogance. En effet, que vaut le bilan aussi élogieux d’une seule opération face à des terroristes qui ciblent les populations tchadiennes depuis au moins neuf ans et dont les actions ont provoqué des dizaines de milliers de morts, de blessés, de réfugiés et de déplacés à la fois au Nigéria, au Cameroun et au Tchad ? Par ailleurs, s’est-on assuré que le coup infligé à Boko Haram met désormais le Tchad à l’abri de nouvelles attaques de la part du groupe terroriste ? La réponse à cette question étant négative, ce n’est pas encore le moment de parader et de s’auto-congratuler. A moins que l’objectif soit de revendiquer l’indifférence et le mépris qu’on témoigne au peuple meurtri du Tchad.
Outre l’arrogance, l’élévation du président tchadien à la distinction de Maréchal est un classique du culte du chef. Ayant pour objectif de présenter le dirigeant comme l’émanation d’une adhésion populaire, la pratique suppose qu’on lui confère des attributs quasiment divins et qu’on le présente comme exclusivement dévoué au service de ses compatriotes. Usant des moyens de communication de masse, elle se donne pour vocation d’incruster l’image du chef dans le subconscient collectif par le biais d’un matraquage médiatique et l’imposition de son portrait dans le quotidien de chacun, des rues aux bureaux. Le Maréchal du Tchad, à l’instar du Führer Hitler ou du Duce Mussolini, relève alors de cette vaste entreprise de manipulation de haute volée qu’on appelle propagande. Et le fait que Joseph Staline, le fameux ‘’Père des peuples’’, Mao Zedong, le ‘’Grand Timonier’’ et Nicolae Ceausescu aient aussi recouru au culte de la personnalité n’a rien de rassurant pour le Tchad quant à la trajectoire que le pays pourrait prendre. D’autant que, comme le démontrent Jerry Rawlings et Thomas Sankara, il n’est pas toujours nécessaire d’être affublé de titres ronflants pour marquer son temps et l’histoire.
Boubacar Sanso Barry