Dans la région sahélienne, le week-end dernier a été marqué par le séjour de travail et d’amitié de 48 heures du président du Conseil de souveraineté soudanais au Mali. Visite dont Abdel Fattah al-Burhan et Assimi Goïta ont profité pour discuter du renforcement de la coopération entre les deux pays. Tous deux confrontés à une crise à la fois politique et sécuritaire, le Mali et le Soudan entendent notamment coordonner leurs actions dans la lutte contre les groupes terroristes auxquels ils font face. Dans une allusion à la guerre qui oppose, depuis avril 2023, les troupes loyalistes soudanaises aux hommes des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Daglo, le président malien a dit témoigner son soutien à son hôte « face aux attaques visant (la) sécurité et (la) stabilité (du Soudan) ». Mais dans l’absolu, il est à se demander quels soutiens concrets les deux pays, confrontés tous à des défis de taille et n’ayant pas une frontière commune, peuvent-ils s’apporter mutuellement ? En d’autres termes, sur quoi ce rapprochement entre les généraux al-Burhan et Goïta peut-il déboucher ? Vu que d’éventuelles ambitions d’extension des frontières de l’AES au-delà du trio actuel peuvent toujours se heurter aux méfiances congénitales entre le Tchad et le Soudan.
Le président soudanais auréolé de quelques succès
C’est un Abdel Fattah al-Burhan auréolé de quelques succès symboliques dont l’avion a atterri le samedi 11 janvier à Bamako. En effet, sur le front militaire, les troupes du président soudanais, avec l’appui de groupes alliés, a repris ces derniers jours Wad Madani, une importante capitale provinciale, dans le centre du pays, qui demeurait aux mains des paramilitaires du général Hamdan Daglo depuis plus d’un an. Ces mêmes paramilitaires que Washington accuse ouvertement du crime grave de génocide. Et tout aussi symboliquement, le président soudanais peut également désormais compter sur le soutien de Bamako. C’est ce que son homologue lui a assuré, à en croire le communiqué que les autorités soudanaises ont publié, à la suite du huis clos entre les deux dirigeants.
Quel soutien concret ?
Seulement, il est pour l’heure difficile d’imaginer quelle forme ce soutien de Bamako pourrait prendre. D’autant que les Maliens sont eux-mêmes confrontés à d’importants défis sur le plan sécuritaire en particulier. S’il est vrai que les troupes fidèles à Bamako ont reconquis Kidal, jadis place forte des mouvements armés, il y a que l’autorité souveraine de l’Etat malien ne s’exerce toujours pas sur l’intégralité du territoire. Des pans entiers du vaste espace de la zone septentrionale sont toujours aux mains de groupes comprenant tout à la fois des djihadistes et des indépendantistes de la cause touarègue. Et même s’il passe pour le leader en chef de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), il n’est pas sûr qu’Assimi Goïta dispose de quoi offrir à son homologue soudanais qui soit de nature à peser suffisamment dans la bataille que ce dernier livre contre son ex-adjoint. Sait-on juste que les deux pays entretiennent des relations plutôt étroites avec la Russie de Vladmir Poutine. Est-ce un élément qui compte dans ce rapprochement entre les généraux Burhan et Goïta ? Ce n’est pas si évident au stade actuel.
Vers un vaste territoire pan-sahélien ?
Il reste alors l’hypothèse que Bamako veuille en réalité étendre l’intégration inter-sahélienne au-delà du Mali, du Burkina Faso et du Niger qui composent l’AES. Déterminée à marquer sa scission avec la CEDEAO à la date du 29 janvier prochain, il serait tout à fait compréhensible que cette nouvelle entité, en prélude à cette rupture, travaille à agrandir sa sphère d’influence. Dans cette éventualité, le déplacement du président de la Transition du Soudan à Bamako s’apparenterait à une première approche. La convergence des vues étant facilitée par le fait que les deux pays font face à des défis similaires et ont un partenaire commun qui est la Russie. Seulement, l’ambition d’établissement d’un vaste territoire pan-sahélien pourrait se heurter au fait que le Soudan et le Tchad ne sont pas nécessairement de bons amis par les temps qui passent. En effet, Khartoum accuse N’Diamena de faire transiter via son territoire des armes en provenance des Abu Dhabi, à destination des combattants des FSR. Et même si les autorités tchadiennes ont fermement démenti ces accusations, des sources onusiennes notamment les confirment. Tandis que du point de vue du Tchad, les relations quelque peu incestueuses entre Khartoum et certains mouvements rebelles hostiles à N’Diamena peuvent bien justifier un appui aux hommes du général Hemetti.
C’est dire qu’au-delà d’un but diplomatique somme toute symbolique, il n’est pas évident de cerner les motifs profonds de cette entente annoncée entre le Mali et le Soudan, deux pays particulièrement fragiles de cet espace sahélien qui attise paradoxalement les convoitises.
Boubacar Sanso Barry