L’image est malheureusement classique en Afrique. Une élection à la régularité plus que douteuse. Mais un pouvoir qui n’en a rien à faire et une opposition résolue à obtenir par la rue, la victoire qu’on lui a refusé dans les urnes. Une répression aveugle et sourde menée par des forces de l’ordre pourtant nourries et entretenues par l’ensemble des contribuables. C’est à la suite de ce tableau sombre dans lequel le Mozambique est plongé depuis environ quatre mois que le président déclaré vainqueur, Daniel Chapo, a prêté serment hier, alors que le pays et la capitale en particulier, étaient sous une forte tension par les partisans de l’opposant Venancio Mondlane. Entre les rues barricadées de Maputo et l’environnement festif qui prévalait à la place de l’indépendance, le contraste était tel qu’une plateforme de la société civile a dénombre 7 morts en ce jour d’investiture. En soi, c’est là l’incarnation de la démocratie élective dont certains se sont prévalus ailleurs pour opérer des coups d’Etat.
Même si en Afrique, nos opposants ne sont pas toujours de bonne foi pour admettre même la défaite la plus évidente, il y a que dans le cas du Mozambique, au-delà des doutes exprimés par les observateurs de la dernière présidentielle, la capacité de mobilisation que l’opposition a démontrée tout au long de la contestation qui dure depuis trois mois est un autre indicateur qui jette du discrédit sur la fiabilité des résultats rendus par les institutions du pays. Comment en effet, l’opposition peut-elle être aussi forte dans un pays à la suite d’une élection à l’issue de laquelle le président est crédité d’une victoire avec 65 % des suffrages exprimés ? De fait, l’élection dont se prévaut aujourd’hui Daniel Chapo, le candidat du FRELIMO, et en vertu de laquelle il a été investi hier ressemble bien à celle d’Ali Bongo Ondimba en 2016 face à Jean Ping ou à la victoire attribuée, en 2018 à Félix Tshisekedi face à Martin Fayulu. Pour tout le monde, il est évident que la victoire du président a été volée. Mais vu que les institutions en charge de la certification des résultats se sont rangées du côté du mensonge, on ne peut que faire avec. D’autant que les forces de l’ordre, elle aussi, suivant la même direction, s’emploient à cautionner ce mensonge, en brutalisant et en tuant quelquefois les opposants désireux de contester le vol.
Mais nos décideurs politiques ne savent pas toujours le danger auquel ils exposent le continent avec cette tendance qu’ils ont de détourner les voix de leurs compatriotes et de s’imposer ainsi par la force. Qu’ils se détrompent, même si les populations, du fait de la féroce répression qui accompagne toujours ce type de braquage électoral, ont tendance à se résigner, il n’en demeure pas moins que ces attitudes généralisées érodent progressivement la confiance que les citoyens ont à l’égard des dirigeants. C’est ainsi que ces dernières années, pratiquement tous les coups d’Etat perpétrés sur le continent ont été salués par des mobilisations populaires spontanées. Parce que les dirigeants qui venaient ainsi d’être renversés procédaient exactement de la même façon. Vainqueurs de toutes les élections, ils s’accaparaient aussi des richesses du pays dont ils jouissaient abusivement en narguant au passage ceux dont ils ont volé les voix pour se hisser au sommet. Daniel Chapo devrait donc, au-delà de l’investiture d’hier, ouvrir un couloir de dialogue en vue d’un partage du pouvoir avec l’opposition. C’est cela la voie de la stabilité pour le pays et de la sérénité pour lui-même.
Boubacar Sanso Barry