La stratégie relève du classique en Afrique. Alors qu’en octobre prochain, les Camerounais seront convoqués aux urnes pour élire le président de la République, Paul Biya entretient un semblant de suspense sur ses intentions. Mais dans les faits, tout le monde sait qu’en principe, le dirigeant de 92 ans briguera un nouveau septennat. D’ores et déjà, les grandes manœuvres ont commencé en vue de conférer à cette option une certaine légitimité. Même si ces derniers mois, des voix se sont élevées pour appeler le président camerounais à prendre sa retraite.
Un bilan qui interroge et divise
A la différence de nombre de ses homologues africains, Paul Biya n’est soumis à aucune limite, ni en rapport avec l’âge, ni pour ce qui est du nombre de mandats. Cependant, une nouvelle candidature du doyen des présidents africains à la présidentielle d’octobre 2024, ne va pas de soi. Son grand âge, sa longévité à la tête du Cameroun et son bilan interrogent et divisent en effet. Depuis 43 ans qu’il trône au sommet de l’Etat, il n’aura pas réussi à sortir le Cameroun et les Camerounais de l’ornière. Tout au contraire, à l’image d’autres pays du continent, le Cameroun demeure en proie au terrorisme islamiste, aux revendications séparatistes dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, à la pauvreté, au déficit d’infrastructures de base, aux violations des droits humains et au mépris des principes démocratiques. Il s’y ajoute même que le dirigeant camerounais, à la santé désormais déclinante et en proie à la fatigue, gouverne de plus en plus par procuration. Lui-même passant l’essentiel de son temps entre ses longs séjours en Suisse et ses récurrents contrôles médicaux. Pour autant, il ne veut pas passer la main et entend manifestement finir ses jours sur le trône.
« 5 litres de Zam-Zam »
Et c’est sans doute contre cet immobilisme que bien de Camerounais appréhendent avec une dose de fatalisme que les évêques du pays se sont élevés en décembre dernier. Rompant avec leur réserve habituelle, ils appelaient leurs compatriotes à se réveiller et dénonçaient ouvertement une nouvelle candidature du président de la République. Ces sorties audacieuses de la part de leaders religieux, généralement en marge des débats politiques, en disaient beaucoup sur le niveau d’agacement et un certain désir de dire son ras-le-bol. Ne souhaitant pas verser de l’huile sur le feu, Paul Biya et son camp font le dos rond. Et le temps semble leur donner raison. Car désormais, ce sont plutôt eux qui ont le vent en poupe. En témoigne la motion de soutien à la nouvelle candidature de Paul Biya que le Conseil national des chefs traditionnels, les autorités religieuses des régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême -nord ainsi que les imams des mosquées centrales de Douala et Yaoundé, ont signée il y a quelques jours. Mettant en avant l’implication personnelle du président camerounais pour l’organisation du pèlerinage musulman et le fait qu’il s’assurerait tout particulièrement que chacun des 6 000 pèlerins camerounais « rentrent au pays avec 5 litres d’eau bénite, communément appelée Zam-Zam », les chefs traditionnels et religieux du Septentrion ainsi que les Grands imams des mosquées centrales de Douala et Yaoundé ont conséquemment « appelé Son Excellence Paul Biya à se porter candidat à la prochaine élection présidentielle ».
Les démons argent et privilèges
Mais dans cet appel, il y a un détail qui doit interpeller au-delà du seul Cameroun. Quand des chefs traditionnels, des chefs religieux et des imams de surcroit, en principe gardiens de la sagesse et de la foi, se prévalent d’un supposé cadeau aussi dérisoire que « 5 litres d’eau bénite » pour appeler au maintien d’un pouvoir aussi déphasé que celui de Paul Biya, on ne peut qu’admettre que le mal est plus profond qu’’il n’y paraît. Quand ce sont ceux qui doivent servir de phares et de digues ultimes qui se laissent ainsi pervertir, il y a des raisons de désespérer. Parce que cela ressemble à une entente criminelle entre pouvoir politique et pouvoir spirituel pour une prise en otage du pays et de son destin. On doit juste se féliciter du fait que les prélats camerounais, eux, ne semblent pas si possédés par les démons argent et privilèges.
Boubacar Sanso Barry