Ce n’est pas la peine de le cacher, les présidents congolais et rwandais nous ont vraiment eus. Leur homologue angolais y compris, visiblement. Alors que tout le monde en était à regretter que les pourparlers tant attendus entre le pouvoir congolais et les rebelles du M23 n’aient finalement pas pu commencer dans la capitale angolaise, voilà qu’en début de soirée, surgit de nulle part et à la surprise générale, cette photo où on voit les présidents Tshiskedi et Kagamé, assis face-à-face. Avec comme seul témoin, l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad al-Thani. Dans le sillage de la diffusion de ce cliché, devenu tout de suite viral, il se précisait qu’une rencontre que personne n’a vu venir a eu lieu plus tôt à Doha, entre les chefs d’Etat de la RD Congo et du Rwanda. Certes, on aurait pu ne pas se jouer ainsi du président angolais en lui réservant le vilain rôle du médiateur d’une farce de dialogue, alors que les véritables négociations, préparées dans la plus stricte discrétion, avaient lieu à Doha. Mais quand on pense aux bénéfices attendus de cette entrevue qu’on croyait impossible jusqu’à hier, on est enclin à penser que les ressentiments personnels de Joao Laurenço peuvent passer au second plan.
Sourire empreint de triomphalisme
Les enjeux qui se rattachent à cette rencontre-surprise entre Felix Tshisekedi et Paul Kagamé, sont tels qu’on ne peut que comprendre le sourire empreint d’un certain triomphalisme que l’émir du Qatar arbore sur la photo qui circule depuis hier. Pour les qatariens, le succès diplomatique est tel qu’on n’ose même pas se rappeler tous les termes péjoratifs auxquels le président rwandais associait il y a à peine quelques jours son homologue congolais. On en est même à se demander comment Tamim ben Hamad al-Thani s’y est pris. Tant les relations paraissaient exécrables entre les dirigeants congolais et rwandais. Quoique la réputation de Doha, comme capitale de la résolution des conflits et de la médiation est bien établie.
Le rapport de force
Ceci étant, dans le cas de la crise actuelle entre la RD Congo et le Rwanda, il y a des raisons de penser que l’émir du Qatar profite quelque peu d’un ensemble de paramètres et de facteurs qui auront, ces dernières semaines, incité les deux dirigeants à sortir de la logique de la surenchère et des prétentions mal placées. Du côté congolais, le facteur qui a le plus convaincu Félix Tshisekedi à privilégier la voie de la raison, c’est le rapport de force sur la ligne de front. Il y a deux ou trois mois, quand les rebelles n’occupaient que quelques bourgades de moindre envergure et des collines surplombant des villages sans grand enjeu, le pouvoir congolais pouvait s’autoriser le déni et la désinvolture. A l’époque, Tshisekedi espérait encore que les mercenaires qu’il avait loués allaient pouvoir bloquer la progression des combattants du M23. Seulement, les choses ne sont guère passées ainsi. En particulier, avec la prise de Goma et de Bukavu, en janvier et février derniers, les autorités congolaises ont finalement pris conscience de toute l’ampleur de la menace. Subitement, ce n’était plus du sort de quelques pauvres congolais dont il s’agissait. La menace touchait jusqu’au pouvoir de Tshisekedi. D’autant que les soldats congolais se sont notoirement révélés incapables de tenir tête aux rebelles, appuyés par Kigali. Voilà qui a convaincu le président congolais de descendre de son piédestal et envisager les choses de manière plus réaliste. C’est là du reste ce qui l’a amené à consentir à des discussions directes avec le M23.
L’impact des sanctions
Mais si Kinshasa s’est ridiculisé sur le terrain militaire, il a par contre damé le pion à Kigali sur celui diplomatique. Quelque peu intouchable jusqu’à tout récemment, le Rwanda a en effet essuyé de nombreuses sanctions depuis quelques semaines. Au point qu’on peut dire qu’il est aujourd’hui au ban de la communauté internationale. Les Etats-Unis, l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne et finalement l’Union européenne. Tout le monde s’y est subitement. Et parmi ces sanctions, il y en a qui ont un impact que Kigali ne pouvait pas ignorer. Ainsi, nous apprend-on, suite à la dernière salve de sanctions décidées par l’Union européenne contre notamment la raffinerie d’or de Gasabo, les pertes annuelles pourraient se chiffrer en milliards de dollars pour le Rwanda. La suspension par l’Angleterre de la majeure partie de l’aide financière bilatérale jadis accordée au gouvernement, elle non plus, ne demeurera pas sans conséquences pour Paul Kagamé. Et ce sont ces mesures draconiennes, consécutives à un réveil certes tardif de la communauté internationale, qui contraignent le président rwandais à consentir à rencontrer son homologue congolais. Alors qu’il s’y était opposé jusqu’ici. On notera d’ailleurs au passage qu’avec la rencontre d’hier, Paul Kagamé admet implicitement son statut du parrain de la rébellion du M23. Parce qu’il s’est lui-même engagé en faveur du « cessez-le-feu immédiat et inconditionnel » et consenti au principe de « poursuivre les discussions entamées à Doha afin d’établir des bases solides pour une paix durable ». En effet, on ne peut pas prendre de tels engagements, si on n’a pas de l’ascendant sur les combattants sur le terrain.
Ainsi donc, s’il convient de reconnaître le mérite de l’émir du Qatar d’avoir réussi à réunir Félix Tshisekedi et Paul Kagamé, on ne peut cependant s’empêcher de penser que son rôle a davantage consisté à cueillir une mangue qui était déjà suffisamment mûre.
Boubacar Sanso Barry