ledjely
Accueil » Guinée – Sierra Leone : « Le conflit de Yenga est davantage politique que social » (Interview)
ActualitésGuinée ForestièrePolitiqueSociété

Guinée – Sierra Leone : « Le conflit de Yenga est davantage politique que social » (Interview)

La localité de Yenga est au cœur d’un différend croissant entre la Guinée et la Sierra Leone. Officiellement guinéenne mais enclavée au-delà du fleuve Makona, sa situation géographique particulière attise les revendications territoriales. Ce conflit est apparu pour la première fois en 1974, avant d’être temporairement résolu grâce aux relations fraternelles entre les présidents de l’époque : Ahmed Sékou Touré pour la Guinée et Siaka Stevens pour la Sierra Leone. Il a resurgi dans le contexte des attaques rebelles entre 2000 et 2002. Le Dr Faya Moïse Sandouno, enseignant-chercheur à l’Université GLC de Sonfonia et maître de conférences, spécialiste des questions frontalières en Afrique de l’Ouest, décrypte la genèse et les enjeux de cette crise latente, qui remonte à 1974.

Lisez plutôt :

Ledjely.com : Quelle est l’origine du différend frontalier autour de Yenga entre la Guinée et la Sierra Leone ?

Dr Moïse Sandouno : L’origine du différend réside principalement dans l’interprétation de l’accord de délimitation de 1912. Cet accord stipule à son article 8 que le fleuve et ses îles appartiennent entièrement à la Guinée (alors colonie française), tout en accordant aux populations des deux colonies les mêmes droits de pêche, ce qui a créé une ambiguïté quant à la souveraineté effective sur le fleuve. Par ailleurs, la difficulté à identifier les repères coloniaux, ainsi que le déplacement subtil des bornes par certaines populations – comme à Yenga – aggravent le problème.

Bien que les cartes d’état-major, l’accord de 1912 et les témoignages de personnes ressources rencontrées sur le terrain indiquent clairement que Yenga relève de la Guinée, l’imaginaire populaire sierra-léonais perçoit l’espace entre le fleuve Makona et Yenga comme historiquement délaissé par la Guinée, considérant le fleuve comme frontière naturelle. Ce décalage entre les textes officiels et la perception populaire, combiné aux défis techniques de démarcation, alimente ce différend complexe de souveraineté, qui nécessite une réflexion sérieuse de part et d’autre, sur la base des documents existants et d’expertises techniques, comme la mission de reconnaissance de 1987.

Quel rôle la guerre civile en Sierra Leone (1991-2002) a-t-elle joué dans l’occupation de Yenga par la Guinée ?

La guerre civile au Libéria, qui s’est étendue à la Sierra Leone (1990-2002), a eu des répercussions importantes sur la Guinée, notamment dans les zones frontalières telles que Nongoa, près de Yenga. Face aux attaques rebelles, la Guinée, en s’appuyant sur des conventions diplomatiques du XIXe siècle, a estimé que la zone de Yenga relevait de son territoire. Une base militaire y a été implantée en amont du village. Or, selon l’accord de 1912 et des relevés ultérieurs, la borne frontalière se trouve après le village, en direction de la Sierra Leone. Cette présence militaire a donc été perçue par Freetown comme une occupation. Ainsi, la guerre civile a conduit la Guinée à renforcer sa présence dans la zone pour se prémunir contre les incursions, ce qui a été interprété comme une emprise territoriale.

Quelles sont les principales revendications des deux pays ?

Les revendications de la Guinée et de la Sierra Leone reposent sur deux enjeux majeurs : économique et sécuritaire.

Sur le plan économique, plusieurs témoignages convergent pour affirmer que la zone litigieuse est riche en diamants. Lors de la présence du groupe rebelle RUF dirigé par Fodé Sankoh, des diamants auraient été découverts et exploités, servant à financer les attaques rebelles contre la Guinée. Des études postérieures ont confirmé le potentiel diamantifère de la région, suscitant les convoitises des deux États.

Sur le plan sécuritaire, la Guinée, qui a été la cible d’attaques rebelles pendant les guerres du Libéria et de la Sierra Leone, a installé une base militaire à Yenga pour se défendre et sécuriser ses frontières.

Quelles démarches diplomatiques ont été entreprises ?

Sur le plan diplomatique, plusieurs rencontres ont eu lieu entre les deux États, marquées par des avancées progressives. Avec l’appui de partenaires tels que la GIZ, dans le cadre du Programme Frontières de l’Union africaine, des commissions techniques mixtes travaillent à l’élaboration d’un nouvel outil de délimitation complémentaire au traité existant.

Le principal défi reste l’absence de mission de démarcation sur le terrain. En effet, à de nombreux endroits, les bornes sont absentes, ce qui complique la matérialisation de la frontière. Il est crucial que les travaux en cours se poursuivent pour permettre une résolution définitive.

Quel rôle ont joué la CEDEAO et l’Union africaine ?

À ce jour, ni la CEDEAO ni l’Union africaine n’ont été officiellement saisies. Leur intervention dépendrait d’une demande conjointe des deux États, comme cela s’est fait dans le passé pour le différend maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau. Pour l’instant, Conakry et Freetown privilégient les négociations bilatérales. Si celles-ci échouaient, les parties pourraient faire appel à un tiers pour une médiation ou un arbitrage, voire saisir un tribunal international.

Quel est l’impact du conflit sur les populations locales ?

Selon mes observations de terrain en 2010, le différend n’affecte pas directement les relations entre les populations locales. Les communautés Kissi, présentes de part et d’autre de la frontière, entretiennent des liens sociaux solides. Le conflit est davantage politique que social.

La présence militaire est perçue comme une menace par l’autre État, exacerbant les tensions diplomatiques. Pourtant, des initiatives locales de paix ont vu le jour, notamment des rencontres à Nongoa (Guinée) et Kouendou (Sierra Leone), qui ont abouti à un pacte de non-agression signé entre les communautés Kissi de Guinée, de Sierra Leone et du Libéria. Ce pacte vise à prévenir les violences et à empêcher toute utilisation de la zone comme base arrière pour des attaques.

Malgré les tensions de 2010, les populations locales ne faisaient état d’aucune difficulté majeure de cohabitation. Un notable m’a confié que Yenga aurait été fondée par un Guinéen. Le village lui-même est de taille modeste, mais l’enjeu réside dans le contrôle stratégique de l’espace frontalier.

Quelles solutions pour une résolution définitive ?

De mon point de vue, la résolution définitive du conflit de Yenga se situe à deux niveaux essentiellement : politique et diplomatique, car il s’agit d’une question de souveraineté étatique. Bien que les populations locales entretiennent des relations pacifiques, cela ne suffit pas pour une solution durable.

La démarche préconisée au niveau diplomatique implique plusieurs étapes cruciales. Les étapes recommandées sont :

  • L’accord sur une mission de reconnaissance conjointe du terrain.
  • L’identification et la vérification des bornes selon l’accord de 1912.
  • La matérialisation visible des limites frontalières.
  • L’installation de nouvelles bornes dans les zones où elles ont disparu.

Une fois ces étapes franchies, un nouveau traité pourrait entériner la délimitation, assurant ainsi une paix pérenne. Sans un tel accord, le différend risque de persister et de ressurgir, comme ce fut le cas après les années 2000.

Interview réalisée par Binty Ahmed Touré 

 

Articles Similaires

Coupe d’Afrique du Slam en Guinée :  « Il reste encore beaucoup à faire » (Siba Toupou)

LEDJELY.COM

UFDG : El Hadj Saïdou Diallo conteste son remplacement à la tête du Comité national des Sages

LEDJELY.COM

Appel à candidature : AGL en Guinée recrute à deux postes

LEDJELY.COM

Siguiri : suspicion d’intoxication alimentaire, une jeune fille morte, une autre dans un état critique

LEDJELY.COM

Indemnisation des victimes des événements du 28 septembre : quand le modèle guinéen « inspire » la CPI

LEDJELY.COM

L’UFDG remanie son Comité des Sages : Falilou Barry remplace Elhadj Saidou Diallo

LEDJELY.COM
Chargement....