L’une des solutions les plus durables, mais aussi les plus stratégiques, face à l’insalubrité qui gangrène nos espaces de vie réside dans l’inclusion explicite, cohérente et transversale de la question environnementale dans les programmes scolaires, dès le cycle primaire. Plus précisément, cette transformation doit débuter à partir du cours élémentaire première année (CE1), âge où l’élève commence à structurer durablement ses représentations du monde.
Il ne s’agit pas d’un simple enrichissement thématique des contenus pédagogiques, mais bien d’une réforme cognitive de fond, une réforme qui ambitionne de forger, dès le plus jeune âge, des consciences éco-citoyennes, ancrées dans une culture de responsabilité, de propreté et de préservation du vivant. L’école doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, le lieu de gestation des pratiques collectives vertueuses.
Dans nombre de sociétés africaines, l’éducation environnementale demeure en marge, abordée de manière épisodique, voire réduite à de vagues slogans sans socle pédagogique tangible. Il en résulte une jeunesse grandissant dans une forme d’indifférence, parfois d’ignorance, vis-à-vis des enjeux liés à la salubrité publique, à la gestion des déchets, à la qualité de l’air ou encore à la biodiversité urbaine. Introduire dès le CE1 des modules contextualisés, articulés autour des réalités locales, permettrait de structurer très tôt des gestes simples mais décisifs, trier ses déchets, entretenir sa cour, planter un arbre, éviter les plastiques à usage unique, etc.
L’intérêt majeur de cette approche est son effet de capillarité éducative. Un enfant de sept ou huit ans, sensibilisé à l’importance de ne pas jeter ses emballages dans les caniveaux, devient souvent un agent de transformation au sein de sa famille. Par le jeu, les devoirs, les sorties pédagogiques sur des sites de recyclage ou de compostage, l’élève influence progressivement son environnement immédiat. Cette dynamique ascendante, de l’enfant vers l’adulte, instaure un écosystème d’apprentissage élargi, dans lequel l’école devient le levier de la transition écologique communautaire.
De nombreux pays africains expérimentent déjà ces modèles. Au Rwanda, dès le bas âge, les élèves participent à des séances de tri simulé, à des exercices de nettoyage collectif ou à la création de composts scolaires. En Côte d’Ivoire, certaines écoles pilotes transforment les déchets biodégradables en jardins potagers, croisant éducation nutritionnelle et écologie appliquée. Ces initiatives, loin d’être anecdotiques, démontrent leur efficacité à la fois sanitaire, sociale et éducative.
La Guinée, elle aussi, peut s’engager dans cette voie. Une refonte des manuels scolaires permettrait d’intégrer une terminologie nouvelle, vivante, enracinée dans les réalités francophones actuelles. Des mots tels qu’écogeste, frugalisme, ou mégadéchet enrichissent non seulement le vocabulaire des enfants, mais élargissent leur imaginaire éthique et environnemental. Pour cela, une formation continue des enseignants est indispensable, il faut qu’ils soient en capacité non seulement de transmettre des savoirs, mais surtout d’incarner les valeurs écologiques qu’ils enseignent.
Il convient également d’éviter l’erreur de l’isolement disciplinaire. L’environnement ne doit pas devenir une matière en marge, mais un fil conducteur transversal. En mathématiques, les élèves peuvent calculer la quantité hebdomadaire de déchets produits par leur classe. En sciences, ils peuvent étudier les effets de la pollution de l’eau ou de la déforestation sur la faune locale. En français, ils peuvent rédiger des plaidoyers ou inventer des récits autour de l’écologie. En arts plastiques, ils peuvent réutiliser des matériaux recyclés pour créer des œuvres engagées.
L’urgence est manifeste. L’insalubrité n’est plus une simple nuisance visuelle, elle est devenue une bombe sanitaire, prolifération de moustiques et de rongeurs, maladies hydriques et respiratoires, caniveaux bouchés, atmosphère saturée de déchets plastiques. Face à cela, seule une population éduquée aux éco-comportements dès l’enfance peut servir de rempart durable.
Il s’agit donc, au fond, de dépasser la simple transmission de connaissances pour implanter des réflexes citoyens. L’enfant qui comprend qu’un papier jeté à terre a un coût écologique est plus à même de devenir un adulte respectueux de l’espace public, critique des politiques de gestion urbaine, acteur de projets de recyclage ou d’innovation environnementale. En lui semant aujourd’hui l’esprit de régénération, on récoltera demain une société propre, responsable et résiliente.
Rompre avec le cercle vicieux de l’insalubrité impose de changer notre matrice éducative. Et ce pari commence par l’école, dès le CE1, là où tout s’ébauche, l’imaginaire, les habitudes, les convictions, les trajectoires.
Une nation propre peut également se construire, pas à pas, dans l’espace sacré de la salle de classe.
Nanamoudou DABO
Essayiste