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Réconciliation au Libéria : Boakai met sans doute la charrue avant les bœufs

Joseph Boakai est sans doute le dirigeant libérien qui affiche la volonté politique la plus affirmée en matière de lutte contre l’impunité dont bénéficient encore les responsables des crimes atroces commis lors des guerres civiles qui ont ravagé le pays entre 1989 et 2003. Mais il n’est pas certain que le président sache comment s’y prendre. En témoignent les excuses et l’appel au pardon lancés, samedi dernier à Monrovia, lors d’une cérémonie dédiée à la réconciliation nationale. Une démarche qui a cependant peu de chances d’atteindre son objectif. Car, en matière de justice transitionnelle, le pardon ne peut précéder la vérité et la justice. Et ce sont précisément ces préalables que le chef de l’Etat peine à poser.

Au Libéria, les plaies tant physiques que psychologiques restent béantes. Les rancœurs aussi. Et ce, malgré l’harmonie de façade qu’affiche la société. Les crimes odieux, les actes de barbarie, les humiliations et les souffrances endurées pendant les quatorze années de guerre ne peuvent s’effacer d’un simple discours. Les douleurs des enfants disparus, des femmes violées, des familles décimées restent profondément enracinées dans les mémoires des victimes. Rappelons qu’environ 250 000 personnes ont perdu la vie dans ces conflits ponctués d’horreurs indicibles, parfois même de cannibalisme, tandis que près de deux millions d’autres ont été forcées à l’exil, réduites au statut de réfugiés dans les pays voisins.

C’est sans doute conscient de ce passé pesant que Joseph Boakai n’a eu de cesse de réitérer son engagement en faveur de la justice et de la fin de l’impunité. L’une de ses promesses phares concerne la mise en place d’un tribunal pour juger les crimes des deux guerres civiles. Un engagement que de nombreux Libériens saluent, mais qui se heurte à une réalité politique manifestement implacable : l’influence persistante de certains anciens seigneurs de guerre, auteurs ou complices des pires atrocités, qui continuent d’exercer un pouvoir politique ou économique considérable. A l’image du tristement célèbre Prince Johnson, devenu sénateur jusqu’à son récent décès, ils auront réussi, depuis plus de deux décennies, à bloquer toutes les initiatives visant à les traduire en justice.

Cette résistance explique peut-être la frilosité actuelle du chef de l’Etat. En mai 2024, Boakai annonçait la création d’un bureau chargé de préparer la mise en place d’un tribunal pour les crimes de guerre. Mais, depuis, plus rien. Aucune avancée concrète. Et voilà que, sans aucun résultat tangible à présenter, le président préfère désormais présenter les excuses aux victimes au nom de l’Etat d’appeler au pardon. Une démarche qui ressemble moins à un acte de leadership qu’à une tentative de repli. Comme s’il reconnaissait implicitement son impuissance à faire aboutir le projet de justice, pourtant recommandé par la Commission vérité et réconciliation.

En réalité, sans justice, sans identification des responsables, sans reconnaissance des victimes, le pardon risque de n’être qu’un mot creux. A vouloir aller trop vite ou en cédant au chantage des criminels tapis dans les arcanes du pouvoir libérien, Joseph Boakai prend le risque de fragiliser davantage la fragile paix libérienne. Car une réconciliation véritable ne se décrète pas. Mais se construit sur les fondations solides de la vérité, de la mémoire et de la justice.

Mais les autorités libériennes doivent savoir que le pays ne pourra jamais tourner la page de son histoire sanglante sans un minimum de justice. A vouloir faire l’économie de la vérité et de la reddition des comptes, le président Joseph Boakai prend le risque non seulement de trahir les attentes des victimes, mais aussi de compromettre durablement les fondations mêmes de la paix. En continuant à garantir de fait l’impunité aux auteurs des crimes les plus abjects, le Libéria s’expose même au risque de revivre les mêmes horreurs. Car les bourreaux d’hier, sans crainte de sanctions, peuvent devenir les fauteurs de troubles de demain. Et tant que les leçons du passé ne seront pas véritablement tirées, l’avenir du pays restera suspendu à une instabilité latente. La paix durable ne peut s’enraciner que dans la justice. A Boakai de le comprendre, avant qu’il ne soit trop tard.

Boubacar Sanso Barry

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