Dans un entretien accordé à RFI, l’ancien Premier ministre guinéen et ex-haut commissaire de l’OMVS, Kabiné Komara, tire la sonnette d’alarme sur la Guinée, en proie à une dégradation écologique inquiétante. Mais c’est surtout sa révélation sur le projet minier de Simandou qui attire l’attention : selon lui, les documents relatifs à ce dossier stratégique ont été transmis au FMI et à la Banque mondiale, alors que, pour beaucoup, le projet a longtemps été géré dans une opacité totale, soulevant des questions cruciales sur sa transparence.
Pour Kabiné Komara, la croissance rapide de la population pèse lourdement sur les écosystèmes. Il évoque une « agression importante » sur les forêts, les sols et les cours d’eau, aggravée par un mode d’exploitation insuffisamment régulé. Cette évolution transforme déjà certaines zones forestières en savanes arborées, marquant un changement écologique majeur.
« J’ai vu au fil du temps combien de fois l’importante diversité guinéenne décline à une vitesse extrêmement inquiétante. La démographie galopante est un grand facteur de destruction de la biodiversité en Guinée parce que c’est un pays qui comporte quatre régions naturelles et la population croît à un rythme assez accéléré… avec une agression importante sur les richesses forestières, hydriques. Cela fait que l’agriculture extensive, pratiquée de manière désordonnée, accroît le déboisement, ensuite pollue les sols et les cours d’eau de façon à ce que, vraiment progressivement, des zones qui étaient boisées, qui étaient verdoyantes, sont en train de perdre leur caractère riche en biodiversité et laissent place à des savanes arborées, ce qui est de plus en plus une situation désolante en Guinée », déplore-t-il.
L’ancien haut responsable pointe l’orpaillage artisanal comme l’un des secteurs les plus destructeurs.
« Je le dis avec beaucoup de conviction, surtout de l’exploitation artisanale de l’or qui se répand pas seulement en Guinée, mais également au Sénégal, au Mali. Et ces artisans miniers utilisent des produits dangereux tels que le cyanure, tel que le mercure, qui, une fois rejetés dans le sous-sol, pénètrent dans les réserves hydriques, polluent les cours d’eau et naturellement, tout ce qui est naval subit les effets de cette contamination extrêmement dangereuse », alerte-t-il.
La Guinée, rappelle l’ancien Premier ministre, détient près de 40 % des réserves mondiales de bauxite. Mais l’exploitation à ciel ouvert entraîne une détérioration visible de l’environnement : poussière, destruction des sols et perturbation des terres agricoles.
« Notre exploitation de bauxite se fait à ciel ouvert. À ciel ouvert, ça veut dire que vous devez décaper tout le sol, racler les couches arabes, ensuite faire exploser les carrières pour que le minerai soit poudré et chargé sur des camions pour être envoyé dans un site de concassage. Cela veut dire qu’au fur et à mesure que l’exploitation progresse, vous déboisez et laissez à la nature des trous béants qui entraînent de la poussière, des maladies, qui tarissent les cours d’eau et empêchent les populations d’accéder à leurs zones agricoles. Et c’est devenu un sérieux problème », dénonce-t-il.
Il relève toutefois un signe encourageant : « Des permis non conformes ont été annulés ». Pour lui, cela démontre une volonté naissante d’assainir le secteur.
Le projet du Simandou, avec son tracé ferroviaire de 650 km, suscite interrogations et inquiétudes. Kabiné Komara explique que la voie traverse les quatre régions naturelles du pays, ce qui représente un risque certain pour la biodiversité.
« Le Simandou, c’est 650 kilomètres de chemin de fer qui traversent les quatre régions de la Guinée et qui comprend des mines en Guinée forestière et un port sur la côte. Donc, il y a un grand impact, il y a un grand risque pour la biodiversité. C’est en cela qu’il y a eu beaucoup de sensibilisation et une grande rigueur pour que tous ces documents soient adoptés. Le reste maintenant, c’est l’application », explique-t-il, ajoutant que des études d’impact ont été menées et que « un comité de suivi vérifie que les engagements sont respectés ».
Sur la question sensible de la convention minière du Simandou, souvent accusée d’opacité, Kabiné Komara reconnaît que le document n’est pas public mais nuance.
« Il y a eu beaucoup de suppitations là-dessus. Ce que je peux vous dire, c’est qu’au niveau des institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale, finalement, la Guinée a donné les documents, ce qui a permis de faire avancer beaucoup de négociations », précise-t-il, évoquant la possibilité d’une plus grande transparence lors de futures négociations.
Pour l’ancien Premier ministre, le véritable problème n’est pas l’absence de législation.
« La Guinée est le pays qui foisonne de lois depuis ses différentes constitutions. Mais elles ont manqué d’application rigoureuse. Et nous avons hérité en cela un peu de nos amis français. On a beaucoup de lois, mais très peu de décrets d’application… Tout le monde doit s’asseoir pour que le plan stratégique de défense de l’environnement et de la biodiversité intègre tous les aspects. Et que par la suite, les différents décrets d’application qui doivent découler deviennent vraiment un travail collégial pour préserver le futur des générations guinéennes », souligne-t-il.
Kabiné Komara conclut sur une note d’alerte : la Guinée doit impérativement transformer ses discours en actions concrètes. Il appelle à une mobilisation générale pour la protection de la biodiversité, sous peine de perdre des atouts naturels essentiels.
Siby


