Deux jours après Christophe Gleizes, journaliste sportif condamné à sept ans de prison, c’était hier au tour de l’écrivain franco-algérien, détenu depuis novembre dernier, de se voir infliger, à l’issue de son procès en appel, la peine de cinq ans d’emprisonnement. Un verdict identique à celui prononcé en première instance, le 27 mars dernier. Comme dans le cas de Christophe Gleizes, l’écrivain, âgé de 80 ans et souffrant d’un cancer de la prostate selon ses proches, est sans doute victime des mésententes diplomatiques qui enveniment depuis plusieurs mois les relations entre la France et l’Algérie. Et visiblement, les autorités françaises, conscientes de leurs limites à pouvoir sortir Boualem Sansal des griffes de la justice algérienne par le biais de la surenchère verbale et des menaces, en viennent à implorer la grâce d’Abdelmadjid Tebboune.
Interrogé le 24 juin dernier sur les propos tenus dans le journal d’extrême droite Frontières, et qui lui valent ses mésaventures actuelles, Boualem Sansal s’était justifié en affirmant qu’il s’exprimait alors davantage en tant qu’écrivain qu’en tant que politique. Il est vrai que la vérité ne devrait pas avoir à souffrir des vicissitudes changeantes de la politique ou de la géopolitique. Sauf que, entre le principe et la réalité, parfois, c’est tout un océan. C’est pourquoi aujourd’hui, un intellectuel de la trempe de Boualem Sansal, qui plus est âgé et souffrant, se retrouve condamné à purger une peine de cinq ans de prison, pour avoir confié, en octobre 2024, dans un journal d’extrême droite : « Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume. »
Certes, ces propos, tenus dans un contexte de résurgence de la crise diplomatique entre l’Algérie et le Maroc au sujet du Sahara occidental, avaient quelque chose de provocateur. Mais s’ils reposent sur des faits historiquement établis, il ne devrait pas en être poursuivi. Pourtant, c’est comme si les planètes s’étaient alignées contre lui. Non seulement la tension entre Alger et Rabat était à son comble, mais tout cela a coïncidé avec un climat particulièrement maussade entre Alger et Paris. De là à penser que l’écrivain a fait le jeu du Maroc par la France interposée, il n’y a qu’un pas… que les autorités algériennes semblent avoir franchi.
Depuis, la France a tout tenté, sans succès. Il y a eu des déclarations tapageuses, des menaces de dénonciation des accords migratoires entre les deux pays, des renvois de diplomates réciproques… mais sans effet. Boualem Sansal a été condamné en première instance, puis confirmé en appel. Et la France semble avoir subitement pris conscience des limites du ton guerrier et de la stratégie martiale. Les réactions des responsables français au dernier acte de la justice algérienne sont donc devenues moins menaçantes. On en appelle désormais à la clémence et à l’humanité des autorités algériennes. On espère que ces dernières saisiront l’occasion de la prochaine célébration de la fête nationale de l’indépendance du 5 juillet, pour sortir de cette crise par le biais d’une grâce présidentielle. Une stratégie à laquelle s’aligne même le très tonitruant Bruno Retailleau. C’est dire que Paris, sous le feu des critiques acerbes de l’extrême droite et même d’une partie de la droite pour sa supposée mollesse dans ce dossier, est à court d’options.
Mais en face, l’Algérie ne devrait pas verser dans un certain triomphalisme. Pour une fois, Abdelmadjid Tebboune ne devrait pas se fier aux radicaux de son camp, lui non plus. Tout au contraire, il devrait saisir l’occasion que lui offre la fête de l’indépendance pour rendre à Boualem Sansal sa liberté. Dans l’absolu, celui-ci n’est qu’une pauvre victime de la lancinante crise entre, d’une part, l’Algérie et le Maroc, et d’autre part, entre l’Algérie et la France. Pour s’être exprimé sur un sujet certes sensible et délicat, il ne devrait pas avoir à payer pour des enjeux bien plus grands que sa petite personne d’intellectuel dont l’objectif était juste de partager une vérité historique.
Boubacar Sanso Barry