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Mory Kanté conté par ceux qui l’ont côtoyé

Ce mardi 26 mai, Mory Kanté, le ‘’griot électrique’’ a rejoint sa dernière demeure. En raison de l’état d’urgence sanitaire consécutive à la pandémie du Covid-19, la levée du corps à l’hôpital de l’amitié sino-guinéenne et l’inhumation au cimetière de Cameroun de l’auteur du tube ‘’Yéké Yéké’’ se sont faites dans une relative sobriété.  Mais en Guinée et à travers le monde, des millions de fans continuent de pleurer et de rendre hommage à celui en qui on s’accorde à reconnaître l’un des pionniers de la World Music. C’est dans cette optique qu’avec le PointAfrique, Cheick Tidiane Seck, compagnon du défunt, et Justin Morel Junior, ancien ministre de la Culture et de la Communication, nous campent ici la personnalité qu’aura été Mory Kanté. Celui-ci a été si grand que Justin Morel Junior ne peut le comparer qu’au fromager. « Généralement, quand une personnalité d’une certaine envergure meurt, on s’est habitué à dire que c’est un baobab qui s’affaisse. Mais je pense que dans le cas de Mory, cela va au-delà du baobab », estime l’ancien ministre. Le fromager lui parait plus approprié, parce qu’il montre mieux la générosité qui caractérisait Mory Kanté. « Le fromager produit des fibres à kapok que l’on ramasse pour en faire des taies d’oreiller soyeuses. Ses racines sont comme des remparts. Son immense taille en impose naturellement. Toute cette symbolique est assimilable à l’identité remarquable qu’aura été Mory Kanté, un vrai fromager ! », insiste JMJ.

« C’est une hécatombe. » Au bout du fil, le musicien Cheick Tidiane Seck est bouleversé. Il ne supporte plus de compter les musiciens africains décédés ces dernières semaines, emportés pour la plupart par le Covid-19. Cette fois, c’est un vieux compagnon de route qui s’en va. Mory Kanté. Ils ont passé une partie de leur jeunesse sur les mêmes bancs, à l’Institut national des arts de Bamako (dans des promotions différentes). Surtout, ils ont partagé la scène au sein du prestigieux Super Rail Band, que ce soit au Buffet de la gare de Bamako ou lors de tournées en Afrique de l’Ouest qui les ont menés jusqu’à Lagos ! Les souvenirs et anecdotes fusent entre ces deux-là lorsqu’ils se retrouvent au Festival international de jazz de Conakry en mars 2019 – un moment immortalisé par les caméras du producteur et rappeur sénégalais Didier Awadi.

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« Yéké Yéké », succès planétaire

À l’heure de l’hommage, Cheick Tidiane Seck salue d’abord l’ambassadeur Mory Kanté. « Au-delà de l’instrumentiste et du chanteur, il a été le porte-voix de la culture africaine, celui qui l’a rendue universelle et a marqué plusieurs générations avec son tube Yéké Yéké. Ce titre n’appartenait pas seulement au peuple mandingue ou africain, c’était devenu un classique planétaire, un coup de maître. Je salue d’ailleurs aussi la mémoire du producteur de disques Philippe Constantin, qui a contribué à ce succès grâce à son flair hors-norme quand il était chez Universal », dit-il. Kora virevoltante, refrain cuivré entêtant, « Yéké Yéké », chanson d’amour écrite (en mandinka) et composée par Mory Kanté, marque les esprits dès les premières notes. Sorti en 1987, le titre s’écoule à 5 millions d’exemplaires et se hisse en tête des hit-parades européens. C’est l’âge d’or de la World Music. Mais en Guinée, où les Kanté ont enfanté plus d’une star de la chanson, Mory est plus encore que ce musicien virtuose reconnu à l’étranger. « Ce que nous avons vraiment admiré, c’est qu’il a accédé au succès avec une musique qui intégrait des instruments traditionnels comme la kora, le balafon, le djembé, en plus de la voix. Ça lui a donné une valeur supplémentaire », résume Justin Morel Junior, journaliste et ancien ministre (de la Culture, puis de la Communication).

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L’enfant du Super Rail Band de Bamako

La kora, sorte de harpe à 21 cordes au son cristallin, qu’il électrifie par la suite, n’est pourtant pas son premier instrument. « Au début des années 70, dans le Super Rail Band de Bamako, Mory Kanté jouait le balafon, comme son père, un grand griot du Mandé. Il a été bercé par ce son-là », témoigne Cheick Tidiane Seck. Originaire d’Albadaria, au sud de la Haute-Guinée frontalière avec le Mali, Mory Kanté est élevé dans les règles de la tradition. « L’éducation typique passe par une phase de mnémotechnique durant laquelle on apprend au jeune griot, dès l’âge de 5-6 ans, à poser sur chaque note des mots retraçant de grands faits historiques qu’il doit retenir pour toujours », poursuit Justin Morel Junior.

L’ancien ministre JMJ et feu Mory Kanté

À Bamako, où il débarque enfant pour vivre auprès de sa tante Manamba Kamissoko, « une sorte de Mahalia Jackson africaine qui te donnait des frissons dès qu’elle chantait », selon Cheick Tidiane Seck, Mory Kanté va rencontrer les « géants » de la kora. Tidiane Koné, le chef d’orchestre du Rail Band, et Batourou Sékou. Le premier lui conseille de pratiquer cet instrument. « C’était un bon choix. Il avait un jeu classique dans la lignée des maîtres de l’instrument, et ça l’inspirait… Il a maîtrisé la kora jusqu’à en faire son instrument identitaire », précise Cheick Tidiane Seck, qui le rejoint au Super Rail Band en 1973, où il est claviériste.

L’orchestre du buffet de la gare de Bamako verra émerger de nombreux talents. Outre Mory Kanté et Cheick Tidiane Seck, il a aussi pour membres Salif Keïta, Djelimady Tounkara… « On était comme une famille. C’est vraiment Tidiane Koné, le chef d’orchestre, qui nous a formés, et lancés. Il a été l’architecte de cette musique mandingue moderne, dont il était le Louis Armstrong. Même Fela l’adorait. C’était un surdoué. Il jouait du saxophone, de la guitare, de la trompette, et c’était aussi le meilleur joueur de ngoni (guitare traditionnelle) de tous les temps. C’est lui encore qui a dit à Mory Kanté de se mettre au chant pour remplacer Salif Keïta quand il a quitté le Rail Band pour aller à Abidjan », se souvient le « guerrier » Cheick Tidiane Seck. C’est peut-être, en partie, à cette formation créée par la Régie des chemins de fer de Bamako dans le sillage des grands orchestres nationaux post-indépendance que Mory Kanté rend hommage en 2015. « Cette année-là, on avait reformé Les Ambassadeurs (autre formation malienne qui jouait au Motel de Bamako dans les années 70, NDLR). Lors d’un concert dans le sud de la France, on a retrouvé Mory Kanté, qui était programmé avant nous. En ouverture de son concert, il a dit : Je vais jouer pour le pays qui a fait ce que je suis devenuOn s’attendait à ce qu’il dise la Guinée, mais il a dit le Mali », poursuit-il.

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Projets au pays natal

Mory Kanté n’oublie pas pour autant la Guinée. Dans les années 90, il y est plus présent. Crée un grand orchestre philharmonique, réfléchit à des projets pour associer et promouvoir les musiciens du cru. Le quartier Morykanteyah, qui porte son nom, dans la banlieue de Nongo du nord de Conakry, abrite d’ailleurs un espace culturel érigé à son initiative. « C’est aujourd’hui un complexe géré par son staff où ont lieu des mariages, des enregistrements… il y a aussi un restaurant. Mais la plupart de ses projets sont restés inachevés, par manque de moyens. Il voulait créer une structure pour accueillir et héberger des artistes, organiser des tournées en Guinée. Il rêvait aussi d’un grand concert au Palais du peuple où il aurait pu inviter des musiciens étrangers qui l’ont accompagné dans ses tournées, et des musiciens locaux. Cela n’a hélas pas pu se faire », témoigne Justin Morel Junior.

L’ancien ministre de la Culture et de la Communication, Justin Morel Junior et feu Mory Kanté

À Conakry, dans le quartier de Kipé, ce dernier a créé un lieu culturel, JMJ-Maguy. Le samedi soir, en saison sèche, dans le jardin arboré, Maître Mamadou Aliou Barry, autre produit de ces grands orchestres subventionnés des années 60 et 70, comme le Kaloum Star, y donne des concerts. « Mory Kanté n’habitait pas très loin. Il lui arrivait de venir à pied, soit pour une visite amicale, soit pour jouer avec Maître Barry. Et dans ces cas-là, il ne demandait pas un franc guinéen », ajoute-t-il.

En 2010, il avait reçu la médaille du mérite culturel de Guinée. Puis, en 2019, le titre d’officier de l’ordre national du mérite, remis par le chef de l’État Alpha Condé. « Ce sont les plus hautes distinctions culturelles du pays. Il avait aussi un passeport diplomatique. Le ministre de la Culture a annoncé qu’un grand hommage national lui serait rendu après la crise sanitaire, et que ses amis d’ici et d’ailleurs seraient invités », souligne Justin Morel Junior. Lui aussi prévoit déjà une grande soirée en son honneur, après la saison des pluies.

Avec le Point Afrique 

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