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GUINEE : le FNDC analysé sous le prisme du Républicanisme de Philip Pettit

En dépit de l’essoufflement relatif qui le caractérise depuis la tenue, le 22 mars 2020, du double scrutin ayant notamment permis l’adoption de la nouvelle constitution, le combat du Front national pour la défense de la constitution (FNDC) suscite un certain intérêt auprès de quelques Guinéens. C’est ainsi qu’un étudiant guinéen – Maîtrise en finances publiques – à l’université Laval (Canada) s’est penché sur la bataille du front anti-troisième mandat. Muni du Républicanisme et de la théorie de la liberté du philosophe canadien d’origine irlandaise, Philip Pettit, Boubacar Diallo s’est particulièrement intéressé à la légitimité de la lutte que mène le FNDC, au caractère démocratique de celle-ci ainsi qu’au rôle que joue la communauté internationale dans le contexte de crise que traverse aujourd’hui la Guinée.

Autrefois sous l’emprise du joug colonial français, la Guinée fût l’un des rares pays d’Afrique à décider de couper le cordon ombilical avec Paris au lendemain de la seconde guerre mondiale. Dans une majorité absolue, les Guinéens votèrent Non au référendum du 28 septembre 1958 initié par le général de Gaulle, qui proposait la création d’une communauté française. L’on se souvient encore de la célèbre formule « Nous préférons la liberté dans la pauvreté, à l’opulence dans l’esclavage ».

Depuis son accession donc à l’indépendance le 02 octobre 1958, la Guinée vît au rythme de l’instabilité politique, de la mauvaise gouvernance, de l’impunité et de l’injustice. C’est le désenchantement total.

Actuellement, le pays est au bord du gouffre. Entre défiance vis-à-vis des institutions de la République, violence d’État, injustice et impunité, repli communautaire, économie en lambeaux et tissu social fragile, on assiste à une véritable « descente aux enfers ».

La Guinée est dirigée au grès des humeurs et de l’agenda politique obscur du Président Alpha Condé qui, malgré un bilan socio-économique désastreux, a effectué au forceps un changement de la constitution lui garantissant un pouvoir à vie.

C’est dans ce contexte, quelques mois plutôt, qu’est né le FNDC (Front National pour la Défense de la Constitution). Ce collectif de citoyens, de partis politiques, d’artistes et d’activistes de la société civile se dit opposé à toute idée de 3é mandat ou de pouvoir à vie pour le Président Condé peu importe la forme que son gouvernement voudrait lui donner. Depuis sa création le 03 avril 2019, le FNDC a réussi à mobiliser de façon inédite des millions de Guinéens dans la capitale Conakry et dans des villes de l’intérieur comme de l’extérieur du pays. À plusieurs reprises, des affrontements ont éclaté entre manifestants et forces de l’ordre faisant des morts et plusieurs blessés ainsi que des arrestations arbitraires de citoyens. La police n’hésitant pas à tirer à bout portant sur des jeunes garçons et filles même lorsque ces derniers sont retranchés dans leurs concessions familiales.

D’aucuns pourraient se demander en quoi le combat que mène le FNDC est-il légitime. D’autres, plus avertis, s’interrogent sur l’avenir réel de la liberté en Guinée, une valeur tant chère aux Guinéens. Faut-il craindre le pire ?

Il serait intéressant d’apporter des éléments de réponse à ces questionnements en adoptant une lecture « Républicaine » de la situation qui prévaut en Guinée. Le Républicanisme est une idéologie politique, une doctrine qui prône une conception de la liberté comme non domination. L’être libre serait donc un individu qui ne serait ni dominé par un autre, ni par l’État (Pettit, 2004a). Le célèbre philosophe politique américain d’origine Irlandaise Philip Pettit, est cité comme l’un des plus grands défenseurs de cette doctrine politique. Nous allons donc nous inspirer des valeurs républicaines pour démontrer l’accord entre la lutte du FNDC et la théorie de Pettit.

Petit et la liberté comme non domination

Philip Pettit est un adepte de la liberté comme non domination. En d’autres termes, selon lui dès qu’il y a domination, on ne saurait parler de liberté. C’est pour cela que le Républicanisme s’inscrit dans la volonté de limiter le pouvoir arbitraire venant non seulement de l’État mais aussi celui qui pourrait naitre des rapports entre les individus eux-mêmes. Et c’est la raison pour laquelle il trouve essentiel d’intégrer un ensemble de mesures qui ont pour but de freiner ces possibilités de pouvoir arbitraire dont entre autres : le respect de l’État de droit, la constitutionnalisation des règles fondamentales et la séparation des pouvoirs. D’où la nécessité que ce soit le peuple qui exerce le pouvoir en choisissant librement les détenteurs de l’autorité de l’État tout en gardant l’option de les contester si besoin il y a.

Dans les conditions normales, l’État doit être le garant de cette non-domination et ne devrait intervenir que pour empêcher qu’il y ait domination arbitraire entre les individus dans la société. Pettit précise qu’il y a domination d’une personne par une autre, seulement si les (3) conditions suivantes sont réunies : Elle dispose d’une capacité d’interférence, sur la base arbitraire et dans certains choix que l’autre est en mesure de faire (Pettit, 2004b). Il insiste que même si le détenteur de cette capacité d’interférence ne l’exécute pas, il y a quand même domination. Pour illustrer cela, il fait allusion à l’esclavage en disant ceci : « Un maitre indulgent, qui s’abstient de me fouetter mais en a le pouvoir, limite ma liberté tout autant qu’un maitre cruel, qui use de ce pouvoir ».

La liberté comme non domination implique forcément une capacité à l’auto-détermination. C’est-à-dire que les individus doivent avoir l’option de prendre leur destin en main en étant capables d’élaborer et de mettre en œuvre leur propre conception du bien.

Le FNDC, une lutte légitime

Jadis prédestinée à un avenir radieux à cause de l’immense richesse de son sol et sous-sol qui lui vaut d’ailleurs le surnom de scandale géologique ou encore de château d’eau d’Afrique de l’ouest, la Guinée vit l’un des épisodes les plus obscurs de son histoire. Un constat très sensible et amer puisque caractérisé par des décennies de violences politiques marquées par des fractures sociales, économiques et ethniques assez clivantes. Les Guinéens qui ont toujours eu la soif de justice et de liberté de génération en génération, continuent de tirer le diable par la queue. Le pays est paralysé depuis quelques mois par les manifestations gigantesques et les appels à la désobéissance civile lancés par le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC). Ce mouvement s’insurge contre la volonté du Président Condé de se maintenir au pouvoir à travers son projet de réforme constitutionnelle.

Le pouvoir en place qui a misé sur la politique ethnocentrique du « diviser pour régner », a usé de toutes les basses manœuvres pour briser la dynamique du FNDC à mobiliser les citoyens contre ce sordide projet de 3è mandat. Une vaste campagne d’intimidation, de manipulation, de kidnapping, d’arrestations et de répression sanglante est orchestrée dans le but de dissuader et même d’éliminer tout potentiel obstacle. Malgré ce climat de tensions et cette ambiance délétère, la majorité des Guinéens continuent à répondre massivement et avec une détermination inébranlable aux appels à manifester du Front National. Le mouvement populaire doit son succès non seulement à la noblesse de son combat mais aussi et surtout à la diversité des acteurs en son sein. Il a réussi à fédérer en un laps de temps, des Guinéens venant de toutes les catégories socio-professionnelles et appartenant à toutes les ethnies que compte le pays.

Lorsque la République qui est censée être la chose publique au service de l’intérêt général est prise en otage par une personne et son petit clan; et lorsque l’État qui doit être le garant de l’exercice des libertés individuelles et collectives en est le premier transgresseur, Philip Pettit estime qu’il y a domination arbitraire et par conséquent, absence de liberté. D’ailleurs à propos il disait ceci : « Si la possibilité permanente de contestation n’est pas assurée, l’État peut constituer une force de domination pour les membres de certains groupes ethniques, culturels ou sexuels marginalisés »

(Pettit, 2004c). C’est pourquoi Pettit trouverait fondé la lutte que mène le FNDC et estimerait qu’il a donc toute la légitimité d’aller au bout de sa lutte.

Le FNDC, un combat démocratique

L’idéologie Républicaine privilégie l’approche politique centrée sur les institutions qui doivent être au service de la liberté. Selon Pettit, ces institutions, gage de toute stabilité démocratique dans un pays, doivent être mises en place dans le souci de limiter les possibilités de pouvoir arbitraire de la part de l’État. Cela suppose donc la mise en place d’institutions indépendantes, crédibles et transparentes, l’existence d’une procédure stricte de prise de décisions, la séparation des pouvoirs et des possibilités de sanctions à travers un système judiciaire efficace.

Cette conception substantielle de la démocratie repose sur le respect et la promotion d’un ensemble de principes politiques axés sur la liberté des citoyens et la possibilité absolue de contestation. Pettit affirmait dans ce sens « Tout intérêt et toute idée guidant l’action d’un État doivent pouvoir faire l’objet de contestation émanant de toutes les positions en présence au sein de la société » (Pettit, d).                                                                                                                                                       Mais malheureusement en Guinée, le pays est tout sauf démocratique. Toutes les institutions sont inféodées au pouvoir en place, la violence d’État, l’impunité et l’injustice institutionnalisées, les ministres de la République pour la plupart zélés et se croyant tout permis, se livrent à un enrichissement illicite sans vergogne. Pire, aucun contrôle n’est possible puisque la Haute Cour de Justice qui est censée juger les hauts fonctionnaires, y compris le chef de l’État, n’est toujours pas mise en place. Face à ce mépris de l’État vis-à-vis de ses propres citoyens, la seule solution qui reste est la rue. Même si la moindre contestation est réprimée parfois dans le sang, le FNDC intensifie la pression et rassure qu’il est plus que jamais déterminé pour la sauvegarde des acquis démocratiques.

Quid du rôle de la Communauté internationale ?

En Guinée, comme nous l’avons déjà dit plus haut, l’autorité de l’État qui aurait dû être d’abord vertueuse, n’est que répressive. L’État joue aux abonnés absents presque partout, donnant l’impression aux citoyens d’être abandonnés à eux-mêmes. Il ne se fait sentir que par la manipulation sociale, la propagande politique, les commissariats de police et de gendarmerie. L’État est quasi inexistant en termes de services sociaux de base, en termes d’infrastructures scolaires, de santé et en termes de sécurité et de justice. Face à cette démission des autorités guinéennes, les amis et partenaires de la Guinée, regroupés sous le label de Communauté internationale tardent encore à agir et ne se contentent que de simples déclarations laconiques à l’allure de déjà-vu. Pourtant, la Guinée a souscrit et ratifié à l’instar d’autres pays en crise, plusieurs traités et conventions régionales, sous-régionales et internationales portant sur le respect des droits de l’Homme et la protection de la liberté d’expression et de manifestation. De plus, l’article 10 de la constitution mise en parenthèse stipule que : « Tous les citoyens ont le droit de manifestation et de cortège. Le droit de pétition est reconnu à tout groupe de citoyens. Tous les citoyens ont le droit de former des associations et des sociétés pour exercer collectivement leurs droits et leurs activités politiques, économiques, sociales ou culturelles » (CNT, 2010).

Au regard de la réflexion de Philip Pettit et du Républicanisme, le peuple a toujours eu raison de la dictature et du despotisme. Malgré que le pouvoir de Conakry tente de s’imposer par la force laissant entrevoir plus de répression, il revient au peuple de Guinée de continuer la lutte contre l’injustice à travers le FNDC et de se battre pour les idéaux qui est le sien. Quant à la communauté internationale, il serait grand temps qu’elle sorte de cet attentisme, de cette diplomatie équilibriste qui repose sur une conception procédurale de la démocratie avant qu’il ne soit trop tard.

Boubacar Diallo, Université Laval, Canada

Bibliographie

  • CNT, (2010). Conseil National de la Transition. Article 10, Page 10. République de Guinée
  • FNDC, (2019). Front National pour la défense de la constitution : À propos. Consulté le 01 Septembre 2020, Repéré à http://fndcguinee.com/index.php/about-me/
  • Pettit, Philip. 2004 (1997). Républicanisme. Une théorie de la liberté et du gouvernement. Trad. Par Patrick Savidan et Jean-Fabien Spitz. Gallimard, Chapitres 1 et. 2., pp. 35-109

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