Dans l’espace CEDEAO, les relations de bon voisinage ne sont plus ce qu’elles étaient. En tout cas, c’est d’une certaine façon ce que la délégation de l’organisation sous-régionale qui s’est rendue ce mardi à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, a appris à ses dépens. Venue prendre langue avec le nouvel homme fort du pays des hommes intègres, la mission que conduisait la ministre des Affaires étrangères de la Guinée Bissau n’a pas su aller au-delà des limites de l’aéroport. Elle en a été empêchée par les manifestations hostiles qui avaient cours dans la ville. Des manifestants qui conspuaient la CEDEAO d’un côté et qui réclamaient la Russie, drapeau de celle-ci à l’appui, d’un autre côté. Est-ce cette nouvelle sympathie pro-Moscou qui s’exprime de plus en plus dans les rues des capitales ouest-africaines qui confère justement à la Russie une certaine assurance. En tout cas, le pays de Vladmir Poutine assume de plus en plus sa conquête du continent africain. Et en soi, c’est une certaine évolution dans son approche diplomatique, jadis flirtant avec la discrétion.
Plus besoin de cachotteries
La Russie réalise-t-elle subitement les points qu’elle marque par rapport à ses concurrents occidentaux en général et la France en particulier sur le terrain africain ? En tout cas, elle ne s’embarrasse plus de certaines cachotteries. Sa nouvelle posture et ses prétentions, elle est désormais disposée à les assumer ouvertement et même fièrement. Le « soutien » qu’Evgueni Prigojine, le fondateur de la milice Wagner a publiquement exprimé ce mardi au nouvel homme fort du Burkina Faso, participe de cette nouvelle posture. Au-delà, cet homme d’affaires que l’on dit proche de Vladmir Poutine, sans fonctions officielles cependant, s’est même permis de donner son avis sur le changement qui vient d’avoir lieu à la tête du pays des hommes intègres. Appuyant le diagnostic que le capitaine Ibrahim Traoré a dressé de la gestion de son prédécesseur, Prigojine juge que le colonel Damiba « n’a pas justifié la confiance des jeunes officiers ». En outre, dans une allusion à peine voilée à la France, il assure qu’avec le coup d’Etat qui a renversé le président Kaboré, le peuple burkinabè s’est enfin libéré du « joug des colonialistes qui le pillaient ». Ça sent le discours offensif et la drague assumée, voire un appel du pied.
A visage découvert
Et c’est cela la nouveauté. Jusqu’à récemment, les autorités russes procédaient avec discrétion. Davantage portées sur les actions que sur les discours, elles laissaient à leurs concurrents le soin de commenter leurs interventions çà et là. Mais cette approche est manifestement sur le point de changer. Ouvertement réclamée dans les rues de Bamako, Ougadougou et même Niamey et plébiscitée sur les réseaux sociaux, la Russie entend avancer désormais à visage découvert. La vidéo du même Prigojine en mission de recrutement dans une prison, qui a récemment fuité, s’inscrit dans la même dynamique. Là, il était de toute évidence question d’une opération marketing en direction de ceux des potentiels partenaires de Wagner, en proie au doute quant à l’affaiblissement du groupe. L’entretien téléphonique que Vladmir Poutine a eu ce mardi avec le colonel Assimi Goïta, la chef de la junte malienne, est à inscrire dans le même registre.
Un nouveau statut à assumer
Dans la bataille géopolitique qu’elle livre en particulier contre la France sur le terrain africain, la Russie estime avoir acquis un statut qu’elle entend pleinement assumer désormais. Plus question de se cacher derrière les rideaux ou d’avancer, masqué. Il est vrai que les ressentiments historiques, le contexte de l’insécurité dans la sous-région, la défiance des dirigeants africains et le retour en force du populisme politique militent plutôt en faveur de Moscou. Mais qu’est-ce que l’Afrique et les Africains y gagnent ? L’illusion d’une liberté retrouvée. Comme jadis au début des années 60.
Boubacar Sanso Barry