Les Nigérians votaient le samedi dernier pour notamment désigner celui qui succédera à Muhammadu Buhari, interdit d’aller au-delà de deux mandats. Et même si on n’a pas encore les chiffres relatifs au taux de participation, les observateurs s’accordent à reconnaitre que les électeurs n’ont pas boudé les urnes. Ce qui ne doit pas nécessairement être perçu comme le reflet d’une confiance aveugle que les Nigérians auraient envers les institutions qui organisent les élections. Une grande mobilisation serait plutôt le symbole de l’immense espoir que les populations attachent au prochain président, qui qu’il soit par ailleurs. Parce que le pays, même s’il demeure une puissance sous-régionale et même continentale, du fait notamment du vaste marché qu’il représente avec ses 216 millions d’habitants, demeure néanmoins confronté à d’importants défis. Justement, le fait inédit de ce scrutin-ci, c’est le suspense et l’imprévisibilité qui entoure les résultats. Globalement, cela se joue entre trois candidats, alors que par le passé, l’élection présidentielle tendait plutôt à valider celui qui s’était déjà imposé aux yeux de l’opinion publique.
Des défis en héritage
Une élection au Nigéria, c’est d’abord une affaire de défi logistique. Comment en effet faire voter plus de 93 millions d’électeurs repartis entre 176 000 bureaux de vote, eux-mêmes disséminés sur près de 924 000 km2 ? Qui plus est pour un pays dont le statut de puissance semble quelque peu surfait, au regard des nombreuses contraintes d’ordre économique et social auxquelles les populations sont encore confrontées. En effet, si le pays le plus peuplé du continent africain peut bien compter sur sa forte démographie et son statut d’un des plus gros producteurs de pétrole en Afrique, il y a que cela ne se reflète pas sur les conditions de vie de nombre de Nigérians. Malédiction des matières des premières ? Pas que. Si les cités résidentielles les plus huppées côtoient les quartiers les plus mal famés dans certaines mégalopoles nigérianes, cela résulte aussi de la corruption devenue pathologique pour l’élite du pays. Il est vrai que l’insécurité n’a pas non plus toujours offert la sérénité d’esprit nécessaireà la réflexion pour un développement socioéconomique. Au point que le Nigéria, à l’instar de quasiment tous les pays du continent, est un gros pourvoyeur de migrants clandestins en direction du Royaume Uni, des Etats-Unis et de l’Europe. Et ces réalités, les 8 ans que Muhammadu Buhari vient de passer à la State House ne les auront pas fondamentalement changées. Ce sont donc des défis qu’il va léguer tels à son successeur.
Deux favoris et un trouble-fête
Justement, son successeur, qui sera-t-il finalement ? La question demeure encore entière. Tant le scrutin de cette année reste à la fois ouvert et incertain. Tout au plus, les observateurs s’accordent à désigner trois favoris sur le total de dix-huit candidats qui ont postulé, là où par le passé cela se ramenait à un seul. Les deux premiers qui se détachent du lot ont en commun d’être tous deux septuagénaires. Le premier, Bola Tinubu, candidat du parti All progressives Congress (APC), de Muhammadu Buhari. Ancien gouverneur de Lagos, il espère offrir à son parti un troisième mandat consécutif. Mais face à lui, se dresse un vieux briscard, Atiku Abubakar, du Peoples Democratic Party (PDP), 76 ans et six essais au compteur. Durant le dernier quart de siècle, les élections au Nigéria se sont ramenées au duel entre ces deux partis traditionnels. Mais cette année, un troisième vient jouer les trouble-fêtes. Il s’agit de Peter Obi, l’ex-gouverneur d’Anambra, 61 ans et chrétien. S’étant particulièrement fait des partisans parmi les jeunes, il pourrait provoquer un second tour historique, à défaut de créer carrément la surprise en l’emportant dès le premier tour. En tout cas, il incarne d’une certaine façon le rejet d’une classe politique qui rechigne à laisser de la place aux plus jeunes. Un seul handicap néanmoins ? Son nom a été cité dans le scandale connu sou le nom des Pandora Papers en 2021. Une tâche qui relativise sa réputation de chantre de la bonne gouvernance et de la transparence.
Fraude
Lequel des trois l’emportera ? Le fera-t-il à l’issue de ce premier tour ou bien un second sera nécessaire ? Seule la proclamation des résultats du vote aidera à trouver des réponses à ces questions. On espère juste qu’entre les urnes et la rédaction du rapport final, les chiffres ne subiront aucune modification. Parce que la fraude, c’est l’autre crainte qui entoure cette élection.
Boubacar Sanso Barry