Alpha Condé ressort son registre d’opposant. Celui dont il ne s’est, en réalité, jamais lesté. Même quand il était président. A bientôt 86 ans, le leader historique du RPG demeure toujours à l’aise dans la contestation. Son message de nouvel an, rendu public ce 31 décembre le démontre amplement. Il ne soulève sans doute plus les espoirs qu’il suscitait dans les années 90 quand il faisait face à Lansana Conté ou en 2009 lorsque, au côté des Forces vives, il contestait la candidature de Moussa Dadis Camara. N’empêche, lui que le hasard place particulièrement face aux régimes militaires, n’entend pas abdiquer, même au soir de sa carrière, si ce n’est de sa vie tout court. N’ayant jamais digéré le coup que lui a réservé le colonel Mamadi Doumbouya, en le débarquant le 5 septembre 2021, Alpha Condé a profité de son message de nouvel an, non pas pour faire des vœux, mais pour dresser un sévère réquisitoire contre le régime de celui-ci. Quitte à faire sourire lorsqu’on pense au bilan que certains dressent de son propre passage au sommet de l’Etat, durant 11 ans.
Son bilan, Alpha Condé ne le circonscrit pas à l’année 2023. C’est du bilan du CNRD dont il parle dans son message. Certes, à ses yeux, « l’année qui s’achève a été encore plus dure ». Parce qu’elle a vu la « confiscation de nos libertés débutée le 5 septembre 2021 (atteindre) son paroxysme ». Mais dans l’ensemble, « nous avons vécu deux années insupportables », estime-t-il. Outre les atteintes aux libertés, il note « ceux qui ont été tués sans autre forme de procès ».
Cynique et volontiers provocateur, l’ancien président dit de la junte du CNRD, qu’elle est une « équipe de prédateurs qui ne représente ni l’armée nationale, ni le peuple souverain de Guinée ». Une équipe dont il désavoue la gestion, y compris celle de l’armée. Surtout, dit-il, une équipe « incapable d’assurer la desserte en eau et en électricité ; incapable de fournir du carburant aux usagers pour permettre le libre mouvement des populations et supporter les activités économiques ; incapable de faire fonctionner l’hôpital Donka (…) et bientôt, ne pourra plus payer les salaires des fonctionnaires ».
Et même, à propos de l’incendie, dans la nuit du 17 au 18 décembre dernier, du dépôt d’hydrocarbures de Coronthie, Alpha Condé évoque une « tragédie qui n’aurait jamais dû avoir lieu dans notre pays ». Parce que, dit-il, en son temps, tout était prêt pour que les travaux de construction du dépôt de Morybayah soient lancés, en vue de la délocalisation du site en dehors de Conakry. « Malheureusement, le 5 septembre 2021, l’ancien légionnaire français et sa bande se sont emparés du pouvoir en enjambant les cadavres de nos compatriotes. N’eut-été ce putsch sanglant, la délocalisation du dépôt de carburant de Kaloum aurait déjà été effectuée, il n’y aurait pas eu ce drame, et on aurait épargné la vie de nombreux Guinéens », écrit l’ancien président.
Alpha Condé qui témoigne sa gratitude à l’endroit de ceux qui luttent pour libérer la Guinée d’une « junte violente, haineuse et prédatrice », convoque la capacité des Guinéens à dire ‘’Non’’ pour empêcher la « dynamique de confiscation du pouvoir » par le colonel Doumbouya et ses camarades. Parce qu’à ses yeux, le fait que le projet de budget 2024 qui vient d’être adopté par le CNT ne prévoit pas des fonds pour l’organisation des élections est en soi un message de la part de la junte : « Nous y sommes, nous restons ».
En somme, les termes sont sévères et la dénonciation, sans équivoque. Mais quelle en est la véritable portée ? Dans quelle mesure un tel discours, tenu par un ancien président dont le départ du pouvoir n’a pas ému grand-monde, peut-il impacter ? Tout au plus, le message ne facilite pas la réconciliation entre le colonel Mamadi Doumbouya et les militants du RPG, sur lesquels Alpha Condé a encore une influence indéniable. Sera-ce suffisant ? L’avenir le dira.
Boubacar Sanso Barry