Enfin, Paul Biya de retour au Cameroun. Ses partisans peuvent jubiler. Ils tiennent la preuve qui les rassure eux-mêmes. Parce que les rumeurs de ces dernières semaines ne les ont pas laissés indifférents, eux non plus. Mais que nous apprend ce retour. Tout au plus que le président camerounais est encore vivant. Contrairement à ce que certains avaient déjà annoncé. Pour le reste, le débat demeure et tous les doutes sont permis. En effet, si les bribes d’image du président relayées par la télévision camerounaise donnent à croire que Paul Biya est plutôt bien portant et quelque peu en forme, rien ne dit que c’était le cas il y a deux semaines. Et par conséquent, la question de fond reste posée : quid de l’après-Paul Biya ? Parce qu’à presque 92 ans, que le veuillent ou pas le président et ses partisans, la fin est proche. En cela, ses soucis de santé que l’on tente de masquer ou de minimiser à grands renforts de communication et de propagande, ne sont que des alertes que Paul Biya lui-même devrait entendre et comprendre en toute lucidité.
Des zones d’ombre
Si l’objectivité commande d’admettre que le retour de Paul Biya à Yaoundé est une victoire pour ses partisans et ses collaborateurs, nous devons néanmoins souligner quelques zones d’ombre dans la communication autour de cet évènement. Des zones d’ombre dont on se demande si elles sont le fait du hasard ou si elles participent d’une manœuvre manipulatrice. Certes, dans l’extrait où on voit Paul Biya, à peine descendu de l’avion, échanger avec le secrétaire général de la présidence, il semble plutôt en forme. Un président normal en somme, vu son âge avancé. Mais en même temps, pourquoi ne l’a-t-on pas vu descendre de l’avion ? Comment se fait-il qu’après une absence aussi commentée, il se contente d’un simple geste de la main, au travers d’une vitre baissée de son véhicule, pour saluer ses fans qui s’étaient si puissamment mobilisés pour lui signifier leur joie de le revoir ?
Le doute résiste
Au travers ces petits détails, le doute s’accroche et résiste. Paul Biya est certes rentré au pays, mais on n’a peut-être pas fini d’entendre parler de son état de santé. En tout cas, le long séjour qu’il vient de passer à l’extérieur du pays avait quelque chose de singulier par rapport à ses précédentes absences. Cette fois, il y avait ces rendez-vous auxquels il était annoncé et auxquels il ne s’est pas rendu. Il s’agit notamment de l’Assemblée générale des Nations unies à New York et de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris. Ce n’est pas comme s’il avait dès le début fait le choix d’aller en vacances.
Le terminus plus proche que jamais
C’est dire qu’à défaut de bobos de santé, il a eu un coup de fatigue. Ce qui serait plutôt normal, à 91 ans dont 42 passés à la tête du Cameroun. Quoi qu’il en soit, le président camerounais lui-même devrait y voir un signe et un message. Ces ennuis qui se répètent à des fréquences plus rapprochées, c’est le signe que l’organisme ne répond plus aux ambitions, que le temps a implacablement fait son œuvre et que le terminus est plus que jamais proche. Et le message qu’il faille en tirer est qu’il faut raccrocher, aller à la retraite, laisser la place à plus jeune. Et ce message, Paul Biya devrait se l’approprier. En tout cas, lui qui doit avoir une certaine expérience de l’humain se doit de savoir qu’il y en a, y compris dans son entourage, qui se seraient réjouis si certaines prévisions alarmistes s’étaient réalisées. Parce que contrairement à ce qu’on peut penser, il n’y a pas que dans les rangs de l’opposition ou du côté de ses supposés détracteurs que l’on s’impatiente de le voir libérer la place.
Le pouvoir rend sourd et aveugle
Mais le président camerounais est-il seulement en mesure de comprendre le bien-fondé ou la pertinence d’une telle suggestion ? Ce n’est pas sûr. Parce qu’en Afrique, le pouvoir semble associé à quelque chose qui rend à la fois sourd et aveugle. C’est pourquoi les plus lucides d’entre nous deviennent méconnaissables une fois qu’ils y accèdent. Et ne retrouvent la sagesse qu’au lendemain de leur chute. Pour ce qui est du cas particulier du dirigeant camerounais, on peut aussi penser qu’il est si longtemps resté au pouvoir qu’il est désormais impossible pour lui de s’envisager une vie en dehors de ce pouvoir.
Boubacar Sanso Barry