Son discours était particulièrement attendu. Alors qu’il est établi que le M23 et les troupes rwandaises contrôlent l’entièreté de la ville de Goma et que, portés justement par leur succès fulgurant, ils ciblent désormais Bukavu, la capitale du Sud-Kivi, la sortie du président congolais était attendue avec une certaine impatience. Eh bien, Félix Tshisekedi s’est adressé hier à ses compatriotes. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a servi un discours quelque peu décalé de la réalité. On l’a senti qui veut tenir débout, qui souhaite renvoyer l’image d’un dirigeant qui contrôle encore les choses et en mesure d’inverser le rapport de force. Ce faisant, il entendait sans doute remonter le moral de ses compatriotes, émoussés par les nouvelles humiliantes qui, ces derniers jours, sont remontées de la ligne de front, à l’est du pays. Mais les mots sonnaient faux. Tant ils contrastaient avec la réalité qui est qu’en dehors d’une pression de la communauté internationale, la RD Congo n’est nullement en mesure d’inverser la donne sur le terrain.
Pourquoi ne pas en profiter ?
Pour les rebelles du M23 et leurs soutiens rwandais, l’objectif est atteint. En tout cas, pour ce qui est de Goma. Depuis mardi dernier, ce sont eux qui contrôlent la ville dont l’aéroport, le siège local de la radiotélévision congolaise ou encore le gouvernorat. En outre, plusieurs centaines de soldats congolais se sont rendus à eux. Il s’y ajoute que les mercenaires roumains que Kinshasa avait fait venir à coup de millions de dollars pour l’aider dans cette guerre, ont, eux aussi, déposé les armes. Les autorités rwandaises ont publié des vidéos montrant ces derniers qui transitaient par Kigali avant de rejoindre la Roumanie. Le M23 et le Rwanda n’auraient sans doute pas pu espérer une victoire aussi manifeste. Et c’est tout à fait compréhensible qu’ils veuillent étendre leur conquête au-delà du Nord-Kivu. Désormais, ils disent clairement vouloir prendre le Sud-Kivi aussi. Et sans doute, Kinshasa elle-même commence à trotter dans la tête de quelques-uns de leurs responsables. Après tout, quand les choses sont si faciles, pourquoi ne pas en profiter ?
Semblant de fermeté
Voilà le contexte qui prévalait dans l’est du pays quand le président Félix Tshisekedi a pris la parole hier soir depuis la Cité de l’Union africaine, le siège de la présidence. Pour la circonstance, il a d’abord endossé le costume de la fermeté. Assimilant l’agression dont son pays est victime à une offense, il a promis une « riposte vigoureuse et coordonnée ». Au passage, faisant un clin d’œil à ses compatriotes, il leur assure : « La RDC ne pliera pas. Je ne vous abandonnerai jamais. J’en fais ici le serment ». Destiné à une consommation locale, ce message peut peut-être apaiser l’inquiétude de ses compatriotes en général et de ses partisans en particulier. Mais ailleurs, à travers le monde, on sait bien qu’au-delà des mots, le Congo est littéralement à terre. C’est même cette affligeante défaite qu’il essaie de compenser à traves ce semblant de fermeté. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si, une nouvelle fois, il s’en est pris à la communauté internationale dont la passivité, dit-il, s’assimile à une complicité.
Train de vie
Mais le plus ahurissant dans cette adresse à la Nation, c’est cette invite qu’il lance en faveur de la réduction du train de vie des institutions en vue de soutien à l’effort de guerre. Pourquoi n’y a-t-il pas pensé plus tôt ? N’est-ce pas là une des causes de la défaite d’aujourd’hui ? En effet, l’autre mal de la République démocratique du Congo (RDC), ce sont des institutions et une élite budgétivores sur le dos des pauvres populations. Si les troupes congolaises, peu équipées et pas du tout motivées, en tendance à se rendre à l’ennemi, c’est cela aussi l’explication. Mais curieusement, le président congolais ne s’en est rappelé qu’au lendemain de la défaite de son camp. Hélas !
Boubacar Sanso Barry