Passé le temps de la surprise qui prédispose à appréhender les choses avec une dose d’émotion, il faut maintenant faire appel à la lucidité, pour se pencher sur l’impact réel qu’on peut attendre de la rencontre de Doha, entre les présidents congolais et rwandais. Au-delà de l’effet médiatico-symbolique. D’ores et déjà, on peut constater que même repris par les deux chefs d’Etat, l’engagement en faveur d’un « cessez-le-feu immédiat et inconditionnel » ne se traduit guère sur le terrain. Ensuite, on peut également noter que dans les deux capitales, on ne réagit pas de la même façon à cette rencontre. Quand la partie congolaise fait montre d’un soulagement qui vire presqu’au triomphalisme, à Kigali, on est plus mesuré. Et il faut craindre que ces nuances ne soient en fait des prémices de blocages en vue des prochains rounds, dans ce processus vers le retour à la paix qui se révèle décidément plus que laborieux.
Entre Doha et le retour effectif à la paix, encore du chemin
A-t-on trop tôt crié à la victoire ? Décidément, la réponse à cette question est oui. Emballés par la surprise et oubliant superbement qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, nous semblons avoir plutôt surestimé l’effet de l’entrevue que l’émir du Qatar a réussi à organiser avant-hier entre les présidents Tshisekedi et Kagamé. Quelque peu obscurcis par notre ardent désir de voir les provinces orientales de la République démocratique du Congo (RD) retrouver leur quiétude et les nombreux déplacés, retourner dans leurs demeures, nous avons vu en une rencontre qui n’aura pas duré plus de 45 min, la solution à tous les problèmes. Eh bien, nous devons admettre que nous nous sommes trompés. Entre cette rencontre et le retour effectif de la paix dans les régions du Nord et du Sud-Kivu, il y a encore du chemin à parcourir. Surtout qu’hier, lendemain de l’entretien, les affrontements se sont poursuivis entre les camps rivaux sur le terrain.
Des nuances à surveiller
Il s’y ajoute que, d’ores et déjà, de petites nuances apparaissent dans l’interprétation que les deux parties se font de l’entretien du mardi à Doha. Globalement, on sent que Kinshasa se félicite davantage de cet entretien qui, il est vrai, passe pour une petite victoire pour Félix Tshisekedi qui a toujours défendu la thèse que son homologue rwandais, parrain de la rébellion du M23, est l’interlocuteur avec qui il faut négocier pour espérer un retour à la paix. A l’inverse, il flotte un parfum de gêne à Kigali. Un malaise résultant sans doute du fait qu’en allant au face-à-face de Doha, Paul Kagamé a cautionné et admis ce qu’il a toujours réfuté, à savoir qu’il soutient les rebelles qui pillent les ressources de l’est de la RDC. Et partant, il légitime tout aussi implicitement les sanctions aujourd’hui décidées à son encontre et contre lesquelles il ne cesse de pester. Cette divergence, certes subtile, il est à craindre qu’elle ne grossisse et bloque la suite du processus.
Lâchage organisé ?
Un dernier facteur de blocage qu’il faut certainement redouter, c’est le boycott de l’initiative de la médiation par l’Afrique. Ou tout au moins de certains acteurs africains qui œuvraient jusqu’ici en faveur du rapprochement entre Kinshasa et Kigali. Certes, dans le communiqué diffusé par les autorités qataries à l’issue de la rencontre, il est question des initiatives de Naïrobi et de Luanda et même du sommet conjoint de l’EAC-SADC du 8 février dernier. Néanmoins, dans son communiqué rendu public hier, l’Union africaine, tout en se félicitant de la rencontre de Doha, a réaffirmé sa préférence pour « les solutions africaines aux défis africains ». Une mise en exergue qui cache mal la frustration des instances africaines qui se voient subitement dépossédées de l’initiative de la recherche de solution à la crise congolaise. En particulier, l’humiliation infligée au médiateur angolais, par ailleurs, président en exercice de l’Union africaine, devrait laisser des marques. Surtout qu’au camouflet de mardi, il s’ajoute que, selon les autorités congolaises, les prochaines discussions devraient porter sur les modalités de mise en œuvre d’une feuille de route adoptée le même mardi, non pas à Luanda, mais à Hararé, au Zimbabwé. On pourrait croire à un lâchage organisé du président angolais qui avait déjà échoué à réunir les présidents congolais et rwandais le 15 décembre dernier.
Boubacar Sanso Barry