La crise sécuritaire qu’ils ont en partage justifie-t-elle la singularité des orientations dans les trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) ? En effet, alors qu’au Tchad et au Gabon, on a déjà renoué avec l’ordre constitutionnel et qu’en Guinée, les autorités promettent la fin de la transition en cette année 2025, au Mali, à la suite Burkina Faso et du Niger, les assises relatives à la relecture de la charte des partis politiques accouchent de recommandations dont quelques-unes appellent ouvertement au pouvoir à vie ou presque. En outre, dans les trois pays, une campagne de diabolisation et de liquidation des partis politiques est ouvertement lancée. A l’inverse, comme cela s’est vu hier au Burkina Faso, des mobilisations sans doute suscitées sont orchestrées pour démontrer la légitimité des dirigeants en place. Il faut avouer que ces nouvelles options politiques semblent pour l’heure, adouber par une certaine opinion publique dans chacun des pays. Mais c’est à se demander si les populations, mues par des émotions de circonstance, ne se laissent pas ainsi piéger.
A regarder de près les options qui s’esquissent dans les trois pays de l’AES et en partant du principe que ceux qui les portent sont de bonne foi, on pourrait penser qu’ils veulent s’inspirer de modèles qui ont fait leurs preuves notamment dans pays du Sud-est asiatique. En effet, aux yeux des anti-démocratie africains, si la Corée du sud, Taïwan, Hongkong, Singapour, la Malaisie, entre autres, se sont extirpés des fanges de la misère, c’est parce qu’ils n’avaient pas à se préoccuper ni de la pluralité des opinions, ni de la liberté de la presse, encore moins des droits de l’homme. Ainsi, entend-on souvent, quand, dans les années 70 et 80, ces pays ont posé les bases de leur industrialisation et partant, de leur essor économique, le pouvoir central avait la latitude de mobiliser l’énergie collective autour des orientations stratégiques qu’il avait définies. Encore que l’absence de démocratie, à elle seule, n’explique pas tout. Il y avait surtout la vision et le leadership des dirigeants dans chacun de ces pays à cette époque. Autrement, l’Afrique aussi a connu des régimes à parti unique et des périodes au cours desquelles l’autorité du chef était absolue. Mais le quotidien des populations dans nos différents pays n’en a guère été amélioré.
Mais il y a surtout que dans le cas des pays de l’AES, tout indique que les choix qui sont opérés sont destinés à laisser aux dirigeants actuels le champ libre. Ainsi, si les partis politiques sont bannis, c’est davantage parce qu’ils sont enclins à pousser dans le sens du retour à l’ordre constitutionnel. Leur faute, c’est la légitimité qu’ils ont de critiquer et de contredire. Leur faute, c’est d’incarner le contre-pouvoir. C’est dire que les autorités sont davantage dans une logique de protection de leurs pouvoirs et naturellement de leurs privilèges. Surfant sur la déception que les partenaires occidentaux inspirent à leurs opinions publiques, les dirigeants en profitent même pour s’aménager un pouvoir à vie. C’est ainsi qu’au Mali, le général Assimi Goïta qui est en place depuis 2020, est invité par les conclusions des récentes concertations à s’offrir un nouveau bail de cinq ans, lui-même renouvelable une fois. Autrement, 15 ans cadeau. Curieusement, la persistance de l’insécurité est le prétexte qu’on met en avant. Cette même insécurité dont la persistance avait en partie justifié le coup d’Etat d’août 2020. Mais le plus affligeant, c’est le fait que les populations ne comprennent rien au piège qui se referme ainsi sur elles.
Boubacar Sanso Barry