Résumé :
Adopté le 7 juillet 2017 à l’Assemblée générale des Nations unies par 122 États, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) ambitionne de proscrire les armes nucléaires en droit international. Cette démarche normative, portée par la société civile et récompensée par le prix Nobel de la paix 2017 attribué à l’International Campaign to Abolish Nuclear Weapons (ICAN), marque une rupture symbolique avec la logique de dissuasion. Toutefois, en dépit de son intention louable, le TIAN se heurte à une double limite : il est juridiquement fragile et stratégiquement inadapté. Cet article, s’inscrivant dans une perspective réaliste des relations internationales, analyse les impasses du TIAN, son impact potentiellement déstabilisateur, et plaide pour une approche graduée du désarmement nucléaire.
Mots-clés :
Armes nucléaires – Dissuasion – Droit international – TIAN – Non-prolifération – Réalisme – ICAN – Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) – Sécurité internationale – Traité sur la cessation de la production de matières fissiles (FMCT).
Glossaire des sigles :
- TIAN : Traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
- ICAN : International Campaign to Abolish Nuclear Weapons (Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires).
- TNP : Traité de non-prolifération nucléaire.
- FMCT : Traité sur la cessation de la production de matières fissiles à des fins nucléaires militaires (projet non adopté).
- AIEA : Agence internationale de l’énergie atomique.
- OTAN : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.
- TICE : Traité d’interdiction complète des essais nucléaires.
- START : Strategic Arms Reduction Treaty (Traités de réduction des armes stratégiques).
Introduction :
Depuis les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki en 1945, les armes nucléaires sont au cœur des débats internationaux sur la sécurité et la paix mondiale. Ces armes sont des engins explosifs qui libèrent une immense quantité d’énergie par des réactions nucléaires, causant une destruction massive et des conséquences humanitaires catastrophiques. Leur usage initial, pendant la Seconde Guerre mondiale, visait à imposer une supériorité militaire décisive. Par la suite, elles sont devenues un outil stratégique de dissuasion, c’est-à-dire un moyen d’empêcher un conflit majeur entre grandes puissances en menaçant de représailles dévastatrices.
Cette double réalité entre horreur de la bombe et nécessité perçue de sa possession a conduit à la création d’un régime international complexe, articulé autour de traités de non-prolifération, de contrôle des armements et de désarmement progressif. Ce régime vise à limiter la diffusion des armes nucléaires, réduire les arsenaux existants et prévenir leur emploi, dans l’espoir d’assurer la stabilité et la paix mondiale.
Dans ce contexte, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté en 2017 à l’Assemblée générale des Nations unies, constitue le premier instrument juridiquement contraignant qui prohibe explicitement la possession, le développement, le test, le transfert et l’usage des armes nucléaires. Le traité définit ainsi son objet comme la prohibition totale de ces armes afin de contribuer au désarmement nucléaire global et à la prévention de leur emploi futur.
Les objectifs principaux du TIAN sont de renforcer la norme internationale contre les armes nucléaires, de stigmatise leur possession et de créer un cadre légal pour un désarmement progressif, dans une perspective humanitaire et de sécurité collective. Porté principalement par la société civile et récompensé par le prix Nobel de la paix attribué à l’International Campaign to Abolish Nuclear Weapons (ICAN), le TIAN incarne un espoir pour une nouvelle ère sans armes nucléaires.
Toutefois, cette avancée normative soulève de nombreuses questions quant à sa portée réelle. En effet, aucun État détenteur d’armes nucléaires n’a à ce jour adhéré au traité, limitant ainsi son impact pratique. Par ailleurs, le TIAN doit composer avec un paysage géopolitique complexe où les doctrines de dissuasion restent centrales à la sécurité des grandes puissances et de leurs alliés. Cette situation conduit à un dilemme entre l’aspiration normative portée par le traité et les contraintes stratégiques du monde réel.
Cet article propose d’analyser les enjeux juridiques et stratégiques du TIAN, en s’appuyant sur une approche réaliste des relations internationales. Il vise à évaluer la faisabilité de ce traité en tant qu’outil de désarmement global, à partir d’une revue critique des textes juridiques et d’une analyse des rapports de force internationaux. En confrontant l’idéal d’interdiction totale aux dynamiques contemporaines de sécurité, nous tenterons de dégager des pistes réalistes pour progresser vers un monde sans armes nucléaires, en dépassant les limites actuelles du TIAN.
La structure de l’article s’organise en quatre parties : La première examine l’ambition morale portée par le TIAN ainsi que les limites juridiques qui fragilisent sa mise en œuvre. La deuxième partie s’attache à analyser les raisons pour lesquelles ce traité est stratégiquement inadapté aux réalités géopolitiques actuelles. La troisième partie étudie l’impact du TIAN sur le système international existant de non-prolifération des armes nucléaires. Enfin, la dernière partie propose une approche pragmatique visant à favoriser un désarmement nucléaire progressif et réalisable.
Méthodologie :
Cet article adopte une approche qualitative en relations internationales, fondée sur une analyse documentaire rigoureuse. Il mobilise des sources primaires telles que les textes juridiques internationaux (TIAN, TNP, Convention de Vienne), les rapports d’organisations (ONU, AIEA, SIPRI), ainsi que des sources secondaires issues d’articles scientifiques, d’ouvrages académiques et de rapports d’experts.
L’analyse s’inscrit dans une perspective réaliste, privilégiant l’étude des rapports de force et des enjeux stratégiques. Elle confronte les normes juridiques portées par le TIAN avec les réalités géopolitiques et sécuritaires contemporaines, illustrées par des études de cas ciblées (Ukraine, pays baltes, Corée du Nord) etc.
Cette méthodologie vise à mettre en lumière les limites normatives du TIAN, tout en proposant une lecture pragmatique et critique des défis du désarmement nucléaire.
Une ambition morale, mais une norme juridiquement fragile :
Le TIAN s’inscrit dans une démarche de stigmatisation normative visant à faire de la possession et de l’utilisation des armes nucléaires une norme socialement et politiquement inacceptable. Portée par l’International Campaign to Abolish Nuclear Weapons (ICAN), cette stratégie cherche à accroître le coût moral et politique de la dissuasion nucléaire en la décrivant non seulement comme dangereuse, mais aussi illégitime sur le plan juridique. Cette approche rompt avec l’approche plus pragmatique et graduelle portée par le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) adopté en 1968, qui vise à encadrer l’usage des armes nucléaires plutôt qu’à leur interdiction pure et simple.
Cependant, plusieurs limites juridiques affaiblissent la portée du TIAN. D’abord, son absence d’universalité constitue un handicap majeur : aucun des neuf États détenteurs officiels d’armes nucléaires n’a signé ce traité, ce qui limite drastiquement son impact. Selon l’article 34 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969), un traité ne crée des obligations qu’entre ses parties, ce qui signifie que le TIAN n’impose aucun engagement aux puissances nucléaires. Cette situation risque de marginaliser le traité, réduisant son effet à une simple déclaration politique sans portée contraignante.
Par ailleurs, le TIAN entre en contradiction avec d’autres engagements internationaux. Par exemple, pour les États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), signer le TIAN impliquerait de renoncer à la doctrine de dissuasion collective, qui constitue le socle de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord (OTAN, 1949). Cette contradiction crée un dilemme stratégique majeur pour ces États, qui dépendent de la protection nucléaire américaine pour leur sécurité.
Enfin, le traité souffre de faiblesses dans ses mécanismes de mise en œuvre et de vérification. Contrairement au TNP, il ne s’appuie pas sur l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pour la vérification, mais évoque seulement une « autorité internationale compétente » sans en préciser la nature ni les moyens. Cette imprécision pourrait compromettre le contrôle effectif du désarmement, essentiel pour instaurer la confiance entre États.
L’article 17, qui prévoit une clause de retrait permettant à un État de se retirer si ses « intérêts suprêmes » sont menacés, ajoute une dimension d’incertitude et d’opportunisme qui fragilise davantage la stabilité du régime juridique instauré par le TIAN.
Une vision idéaliste, stratégiquement inadaptée :
Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) s’appuie sur un idéal pacifiste et moral visant à éliminer totalement les armes nucléaires, perçues comme une menace inacceptable pour l’humanité. Toutefois, cette approche idéaliste tend à ignorer les réalités complexes et les dynamiques de sécurité globale qui structurent les relations internationales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En refusant la légitimité même de la dissuasion nucléaire, le TIAN remet en cause un équilibre stratégique fragile, construit sur la peur mutuelle et la prévention de la guerre à grande échelle.
Plusieurs cas illustrent les limites pratiques et les risques de cette logique :
- Ukraine : En 1994, l’Ukraine a accepté de renoncer à son arsenal nucléaire hérité de l’ère soviétique, dans le cadre du Mémorandum de Budapest, en échange de garanties de sécurité et de respect de son intégrité territoriale par les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie. Pourtant, ces garanties se sont révélées insuffisantes face à l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, suivie de l’invasion du pays en 2022. Cet épisode montre que la dénucléarisation ne garantit pas nécessairement la sécurité face aux agressions, remettant en cause l’idée que le désarmement seul suffise à prévenir les conflits (Mémorandum de Budapest, 1994 ; Reuters, 2022).
- Pays baltes : Ces États, membres de l’OTAN, dépendent de la dissuasion nucléaire américaine pour assurer leur défense contre toute menace extérieure. Une interdiction unilatérale des armes nucléaires, sans garanties concrètes de sécurité alternatives, affaiblirait leur posture défensive et pourrait encourager des tentations agressives, en particulier dans un contexte régional marqué par la tension avec la Russie.
- Corée du Nord : Malgré la signature du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) en 1996, Pyongyang a poursuivi ses programmes nucléaires et ses essais, illustrant la difficulté des normes internationales à freiner les États déterminés sans mécanismes de sanction crédibles. Cette situation souligne la faiblesse d’un cadre normatif fondé uniquement sur l’interdiction sans pouvoir contraignant (TICE, 1996 ; SIPRI, 2024).
- Inde et Pakistan : Ces États nucléaires non signataires du TIAN justifient leur arsenal comme une garantie nécessaire à leur sécurité régionale, dans des zones marquées par des conflits historiques et une forte méfiance mutuelle. Leur refus de rejoindre le traité illustre la complexité des équilibres régionaux et le rôle crucial que joue la dissuasion nucléaire pour maintenir une certaine stabilité, même fragile.
- Iran : La controverse autour du programme nucléaire iranien démontre également les tensions entre interdiction stricte et réalités politiques. L’Iran nie vouloir se doter de l’arme nucléaire, mais son programme est perçu comme une menace stratégique par plusieurs puissances régionales et occidentales, ce qui complique toute démarche unilatérale d’interdiction sans garanties sécuritaires claires.
Au-delà de ces exemples, il faut reconnaître que la dissuasion nucléaire, malgré ses controverses éthiques, a instauré ce que certains théoriciens appellent un « équilibre de la terreur », un paradoxe qui a contribué à éviter un conflit majeur entre puissances depuis 1945. Comme l’a analysé Michael Walzer (1977), la menace nucléaire pose un dilemme moral : si sa logique est injuste par la menace qu’elle fait peser sur les populations civiles, elle a paradoxalement servi à empêcher l’usage effectif de ces armes dévastatrices.
En somme, le TIAN, en niant la légitimité de la dissuasion, ne tient pas suffisamment compte des contraintes géopolitiques et stratégiques actuelles, ce qui limite son réalisme et sa capacité à transformer durablement les pratiques des puissances nucléaires.
Une démarche contre-productive pour l’architecture de non-prolifération :
Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) risque d’affaiblir le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), qui demeure le pilier central du régime international de contrôle des armes nucléaires. Le TNP repose sur un équilibre subtil et pragmatique entre trois piliers : le désarmement progressif des arsenaux nucléaires, la promotion de l’usage pacifique de l’énergie nucléaire, et la prévention de la prolifération des armes nucléaires. Cette approche graduelle vise à concilier sécurité et coopération internationale.
En revanche, le TIAN privilégie une interdiction totale et immédiate des armes nucléaires, sans prévoir de mécanismes progressifs ni d’étapes intermédiaires. Cette démarche, bien que moralement ambitieuse, peut être perçue comme utopique et risquée dans le contexte actuel. Elle fait primer la fin (l’élimination complète) sans passer par les moyens nécessaires, notamment une réduction contrôlée et vérifiable des arsenaux.
Cette divergence engendre une forme de concurrence normative entre le TNP et le TIAN. Le TNP, malgré ses critiques et ses faiblesses (notamment le retard dans le désarmement effectif), maintient un dialogue continu entre États dotés et non-dotés de l’arme nucléaire, ce qui favorise une gestion collective et concertée des enjeux liés à la sécurité nucléaire. À l’inverse, le TIAN, en excluant les États détenteurs d’armes nucléaires qui refusent de s’y associer, creuse une fracture diplomatique et tend à marginaliser certains acteurs clés, ce qui peut fragiliser l’unité nécessaire à la non-prolifération.
Cette tension entre les deux traités illustre une difficulté majeure : l’échec répété des négociations sur le Traité sur la cessation de la production de matières fissiles à des fins nucléaires militaires (FMCT), un projet pourtant crucial pour le contrôle des armements. Le blocage des discussions autour du FMCT reflète la problématique d’une approche trop rigide et manichéenne, où le tout-ou-rien freine les avancées pragmatiques et progressives (Tertrais, 2011). Ce constat souligne l’importance d’adopter des stratégies réalistes et évolutives, susceptibles de rassembler une majorité d’États autour d’objectifs communs, plutôt que de polariser les positions.
Ainsi, bien que le TIAN ait le mérite de renouveler le débat sur l’abolition nucléaire, son impact sur la cohérence et l’efficacité de l’architecture internationale de non-prolifération reste à relativiser. Il convient de privilégier des initiatives compatibles avec les mécanismes existants, afin de ne pas fragiliser les fondements déjà posés par le TNP.
Pour un agenda de désarmement réaliste :
Le désarmement nucléaire ne peut être ni instantané ni unilatéral. Il nécessite un cadre stratégique solide, des garanties mutuelles et des mécanismes de vérification rigoureux. Face aux limites du TIAN, plusieurs pistes apparaissent comme plus crédibles et susceptibles de produire des résultats concrets à court et moyen terme.
Tout d’abord, la réduction progressive des arsenaux constitue une voie pragmatique, déjà expérimentée avec un certain succès. Les traités bilatéraux de réduction des armes stratégiques (Strategic Arms Reduction Treaties – START I, II, III) conclus entre les États-Unis et la Russie depuis 1991 témoignent de la possibilité de négociations constructives et de diminutions substantielles des stocks d’armes nucléaires. Ces accords, bien que perfectibles, représentent une base concrète pour poursuivre le désarmement dans un cadre multilatéral élargi.
Ensuite, la ratification du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) demeure un enjeu crucial. Malgré son adoption en 1996, ce traité n’est toujours pas en vigueur, notamment à cause du refus persistant de puissances nucléaires majeures comme la Chine, l’Inde, le Pakistan, et les États-Unis. L’entrée en vigueur du TICE permettrait de renforcer le contrôle des essais et de freiner les développements de nouvelles armes.
Par ailleurs, des pressions diplomatiques ciblées peuvent être efficaces pour encourager les États récalcitrants à s’engager dans des négociations sérieuses. L’isolement économique, politique ou multilatéral des États bloquant les progrès, comme la Chine ou le Pakistan dans le cadre des négociations sur le Traité sur la cessation de la production de matières fissiles à des fins militaires (FMCT), peut contribuer à créer un environnement plus propice à la coopération.
Enfin, une approche combinée et intégrée est essentielle, combinant désarmement nucléaire, réduction des doctrines offensives et renforcement des capacités internationales de vérification. Cela implique une coordination étroite entre les dimensions stratégiques, juridiques et politiques du désarmement, afin d’assurer un équilibre entre sécurité nationale et intérêts globaux.
Un agenda de désarmement réaliste suppose que les États prennent pleinement leurs responsabilités, non seulement envers leurs populations, mais aussi dans la construction d’une sécurité collective durable. Ce réalisme ne doit pas être confondu avec du cynisme ou de l’inaction ; au contraire, il est la condition même de l’efficacité. Le défi est de conjuguer ambition morale et pragmatisme politique, pour transformer l’idéal de paix en une réalité tangible.
Le rôle de l’Afrique dans la non-prolifération et le désarmement nucléaire :
L’Afrique occupe une position singulière dans le paysage mondial de la non-prolifération et du désarmement nucléaire. Historiquement épargnée par la prolifération nucléaire, cette région a choisi la voie de la paix nucléaire en adoptant des mesures légales fortes, notamment le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires en Afrique (Traité de Pelindaba) en 1996 (Organisation de l’Union africaine, 1996). Ce traité interdit le développement, l’acquisition, l’essai, la possession et le déploiement d’armes nucléaires sur le continent africain. L’Afrique s’est ainsi engagée à maintenir sa zone exempte d’armes nucléaires, contribuant à la stabilité régionale et à la non-prolifération mondiale (Kjellen, 2007).
Cependant, malgré cette posture collective, le continent fait face à plusieurs défis. D’une part, les risques liés à la prolifération nucléaire ne sont pas inexistants, notamment du fait des tensions régionales et des enjeux sécuritaires qui peuvent favoriser l’émergence d’acteurs étatiques ou non-étatiques cherchant à acquérir des capacités nucléaires (Allison, 2014). L’instabilité politique dans certaines zones et la porosité des frontières peuvent constituer des vecteurs de diffusion de technologies sensibles.
D’autre part, le rôle des puissances nucléaires étrangères en Afrique, par exemple via des accords militaires ou des implantations stratégiques, peut complexifier la situation sécuritaire et peser sur les efforts de désarmement global (Aning & Pokoo, 2017). Par ailleurs, la dépendance énergétique de certains pays africains à l’égard du nucléaire civil pose des questions de sécurité liées au contrôle des matières fissiles et à la prévention des détournements (Møller & Rosendal, 2020).
Dans ce contexte, le continent africain représente un enjeu géopolitique crucial pour les régimes internationaux de non-prolifération, notamment le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui doit concilier les aspirations au développement économique et énergétique avec la nécessité de prévenir la dissémination des armes (Williams, 2019). La participation active des États africains dans les forums internationaux de désarmement, ainsi que leur coopération régionale renforcée, sont donc essentielles pour maintenir la zone libre d’armes nucléaires et contribuer aux efforts globaux.
En résumé, l’Afrique joue un rôle positif en tant que zone dénucléarisée, mais les risques liés à l’instabilité régionale et à l’influence extérieure exigent un engagement constant et des mécanismes robustes de contrôle et de coopération internationale. Le continent africain, bien qu’il soit en majorité non doté d’armes nucléaires, est souvent peu pris en compte dans les grandes négociations sur le désarmement et la non-prolifération, ce qui limite sa capacité à influencer des règles internationales qui pourtant impactent sa sécurité (Ncube, 2020).
VI. Solutions pour le désarmement nucléaire :
Le désarmement nucléaire est un enjeu important pour la sécurité mondiale. Il demande une approche pragmatique, basée sur des règles claires et une volonté politique forte. En se basant sur l’étude des traités et des situations actuelles, voici les solutions possibles :
- Poursuivre une réduction progressive des arsenaux nucléaires : Il est essentiel d’inscrire le désarmement dans une trajectoire graduelle, fondée sur des négociations bilatérales ou multilatérales. Les accords tels que les traités START entre les États-Unis et la Russie démontrent qu’une diminution concertée des forces nucléaires stratégiques est possible et souhaitable. Cette approche graduelle permet d’assurer la stabilité stratégique et d’éviter les ruptures brutales susceptibles de compromettre la sécurité des États.
- Promouvoir la ratification universelle du Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires (TICE) : La mise en œuvre effective du TICE constitue un levier fondamental pour freiner la modernisation des arsenaux nucléaires. Pour cela, il est crucial d’encourager les puissances nucléaires majeures, notamment la Chine, l’Inde, le Pakistan et les États-Unis, à ratifier ce traité, renforçant ainsi le régime global de contrôle des essais nucléaires.
- Renforcer les mécanismes de vérification et de contrôle international: La crédibilité des processus de désarmement repose sur l’existence de dispositifs robustes et transparents de vérification. Le renforcement des institutions internationales, telles que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), ainsi que la définition claire des responsabilités et procédures dans les traités, sont indispensables pour garantir la confiance entre les États.
- Assurer un cadre stratégique et des garanties mutuelles de sécurité : Cette solution est centrale pour la protection des pays non dotés. En effet, ces États, qui ont renoncé à développer l’arme nucléaire (souvent en signant le TNP – Traité de non-prolifération), peuvent se sentir vulnérables face aux puissances nucléaires. Le désarmement ne peut s’envisager sans garantir la sécurité des États. Il est nécessaire de mettre en place des mécanismes assurant que la réduction des arsenaux ne fragilise pas les capacités défensives nationales, tout en évitant les risques d’agression ou de course aux armements. La négociation de garanties mutuelles de sécurité demeure un préalable incontournable.
- Encourager une diplomatie multilatérale inclusive : Le dialogue entre États dotés et non-dotés d’armes nucléaires doit être renforcé afin de construire un consensus élargi. Cette approche inclusive permet d’intégrer les préoccupations spécifiques des différents acteurs et de favoriser l’émergence d’objectifs communs, tout en réduisant les tensions et la polarisation.
- Soutenir le rôle des zones dénucléarisées, notamment en Afrique : La consolidation des zones exemptes d’armes nucléaires, telles que celle formée par le Traité de Pelindaba en Afrique, contribue positivement au régime de non-prolifération. La coopération régionale et le soutien international à ces initiatives renforcent la légitimité et l’efficacité du désarmement.
- Utiliser la diplomatie pour faire pression sur les États réticents: Les États refusant d’entrer dans le cadre des négociations de désarmement doivent être isolés diplomatiquement. Cela peut passer par des sanctions ciblées, une mise à l’écart dans les forums internationaux, ou d’autres formes de pression politique, visant à les inciter à participer activement au processus.
Conclusion : vers une réduction graduée des arsenaux nucléaires :
Le Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) incarne une ambition morale et politique forte, visant à proscrire une catégorie d’armes d’une destructivité inégalée et à promouvoir un monde exempt de menaces nucléaires. Cette initiative reflète la volonté d’une part importante de la communauté internationale de dépasser les logiques de dissuasion, héritées de la Guerre froide, et d’engager une dynamique de désarmement fondée sur la prévention des risques humanitaires et environnementaux. En ce sens, le TIAN joue un rôle catalyseur essentiel en ravivant un débat global trop souvent marqué par l’immobilisme et les intérêts géostratégiques concurrents.
Cependant, comme le démontre notre analyse, les limites juridiques et stratégiques du TIAN sont loin d’être négligeables. Son efficacité réelle dépend en grande partie de sa capacité à s’intégrer dans un cadre multilatéral plus large, qui tienne compte des rapports de force internationaux, des doctrines de sécurité des puissances nucléaires et des mécanismes de contrôle et de vérification. En niant la légitimité même de la dissuasion nucléaire, le TIAN peut involontairement contribuer à fragiliser les architectures existantes de non-prolifération, en particulier le Traité sur la Non-Prolifération des Armes Nucléaires (TNP), qui repose sur un équilibre délicat entre désarmement progressif, usage pacifique de l’énergie nucléaire et prévention de la prolifération.
Le désarmement nucléaire ne saurait être instantané, ni imposé unilatéralement. Il doit s’inscrire dans un processus graduel et pragmatique, fondé sur la confiance mutuelle entre États, assorti de garanties vérifiables, et accompagné de mesures concrètes telles que la réduction contrôlée des arsenaux, la ratification effective du Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires (TICE), et la mise en œuvre d’accords bilatéraux ou multilatéraux de limitation des armements stratégiques. Ces avancées, même si elles restent souvent lentes et parfois fragiles, constituent des jalons indispensables sur la voie d’un désarmement global.
Par ailleurs, la place de l’Afrique dans ce débat illustre les enjeux spécifiques que pose la non-prolifération dans des contextes géopolitiques et économiques variés. Le continent, qui s’est engagé dans des initiatives telles que la Zone exempte d’armes nucléaires en Afrique (ZEA), témoigne d’une volonté claire de préserver sa stabilité et sa sécurité face aux menaces potentielles. Cependant, les défis liés aux pressions exercées par les puissances nucléaires, les risques de prolifération régionale, et la nécessité de bénéficier d’un soutien international crédible appellent à une posture africaine active, cohérente et concertée dans les forums internationaux.
Enfin, la communauté internationale doit dépasser les postures idéologiques rigides pour adopter une approche équilibrée et réaliste, conciliant l’exigence éthique d’un monde sans armes nucléaires avec les contraintes de la sécurité collective. Ce réalisme ne doit pas être synonyme d’immobilisme, mais au contraire inspirer des actions pragmatiques, efficaces et concertées. C’est par la combinaison d’une volonté politique sincère, d’institutions fortes et de mécanismes de contrôle robustes que le défi du désarmement pourra être relevé.
En somme, le chemin vers un monde libéré des armes nucléaires est complexe et parsemé d’obstacles, mais l’urgence humanitaire et environnementale qu’impose la menace atomique exige que les États, la société civile et les acteurs internationaux continuent d’œuvrer ensemble, en conjuguant idéal et pragmatisme, afin que la paix nucléaire ne reste plus une utopie lointaine, mais devienne une réalité durable.
Bibliographie :
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Aning, K., & Pokoo, J. (2017). Africa and the global nuclear non-proliferation regime. Journal of African Security, 10(2), 45–61.
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