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Excision : quand la loi interdit, mais que la société persiste

Ces derniers jours, l’excision est revenue au centre des débats en Guinée, notamment après le décès d’une fillette de 5 ans à la suite de cette pratique. Tandis que certains la considèrent comme une prescription religieuse, d’autres réclament son abolition, en invoquant ses conséquences sanitaires et son interdiction légale. Pour éclairer le débat, notre rédaction a recueilli les points de vue d’une féministe, d’un imam et d’un médecin.

Selon des chiffres de l’UNICEF cités dans un rapport de l’organisation suisse d’aide aux réfugiés, près de 95 % des femmes et filles en Guinée ont subi une excision, l’un des taux les plus élevés au monde. Et ce, malgré une interdiction inscrite dans la loi depuis plusieurs années.

Rencontrée à son bureau, Aminata Pilimini, militante féministe, estime que la persistance de l’excision en Guinée est avant tout liée à l’absence d’application des lois.

« Si une pratique est interdite par la loi mais que cette loi n’est pas appliquée, elle va continuer. Certains diront que c’est la société qui veut ou que les gens ne sont pas bien informés, mais moi je pense que c’est l’application de la loi qui manque. Le Guinéen a peur de la loi. Si tout le monde savait qu’en cas d’excision ou de complicité, on risque six mois à deux ans de prison et une amende d’un à deux millions de francs, beaucoup arrêteraient », explique-t-elle.

Elle insiste sur le fait que « Si tout Conakry jusqu’à Yomou savait que l’excision mène en prison, ça allait arrêter. C’est ce manque de rigueur qui fait que ça persiste toujours », poursuit-elle.

Selon Pilimini, les rares condamnations qui existent ne sont pas médiatisées, ce qui empêche la population de prendre conscience de la rigueur de la loi.

Elle dénonce également le discours qui consiste à vouloir former des médecins pour pratiquer l’excision. « Dire de former celles qui font l’excision c’est venir à l’encontre de la loi. Ceux qui font l’apologie de ce crime doivent être interpellés. Dans un pays normal, une telle prise de position ne devrait pas passer », affirme-t-elle.

Sur l’argument religieux, Aminata est catégorique : « Pour quelqu’un qui connaît vraiment l’islam, tout ce que Dieu a voulu qu’on fasse, il l’a exigé. Le prophète (PSL) a eu des filles, mais aucune d’elles n’a été excisée. Si le prophète (PSL) voulait qu’on l’impose, il l’aurait fait pour ses filles, mais aucune ne l’a été. Donc les gens doivent se poser cette question. L’excision est une tradition, pas une prescription religieuse sinon, pourquoi les chrétiens de Guinée la pratiquent aussi ? ».

Justement, pour éclairer notre curiosité sur les prescriptions religieuses à propos de l’excision, nous avons rencontré l’imam Alhassane Sidibé. Il reconnaît que l’excision n’est pas une obligation religieuse, mais il se réfère à un fait rapportant que le Prophète (PSL) aurait conseillé une exciseuse à Médine sur la manière de procéder.

« L’excision dans la religion musulmane n’est pas obligatoire, mais c’est un fait qui a été vu par le Prophète Mohamed (PSL). À Médine, il a rencontré une dame qui l’exerçait. Il lui a demandé comment elle faisait et lui a donné le bon procédé. Ce n’est pas une obligation, certes, mais le Prophète a dit que l’excision, c’est l’honneur de la femme », dit-il.

Selon lui, les raisons de cette pratique relèveraient aussi d’une explication scientifique ancienne.

« Le clitoris dépasse parfois les lèvres, ce qui augmenterait le désir sexuel. Le Prophète a donc recommandé d’enlever la partie supérieure, sans excès, contrairement aux anciennes pratiques où l’on enlevait tout, causant des blessures. Le problème, ce n’est pas l’excision en soi, mais le fait qu’elle soit mal pratiquée. Plutôt que de l’abolir, il faudrait qu’elle soit faite par des spécialistes », estime-t-il.

Au-delà du débat religieux ou juridique, les médecins rappellent que l’excision comporte de graves conséquences sur la santé des filles et des femmes : hémorragies, infections, complications lors de l’accouchement, sans oublier les traumatismes psychologiques.

Pour Dr Ben Youssouf Keïta, médecin, l’excision représente un danger permanent pour la santé des femmes et des filles.

« L’excision peut provoquer de l’hémorragie et des infections dès les premiers jours de l’acte. À long terme, elle entraîne une diminution de la sensibilité sexuelle et de graves complications lors de l’accouchement. Le clitoris assume un rôle prépondérant pendant l’accouchement de la femme. Grâce à l’élasticité qu’il peut offrir lors de cette douloureuse épreuve, il protège la partie intime contre la déchirure ou le retard de la sortie du bébé. Quand une excision cicatrise, les tissus deviennent rigides et ne s’étendent plus correctement, ce qui peut provoquer des déchirures », indique-t-il.

Il rejette aussi l’argument souvent avancé selon lequel « le clitoris dépasserait » et justifierait cette pratique.

« C’est totalement faux. Le clitoris n’est pas un problème médical. C’est un organe très innervé, constitué de tissus sensibles et de vaisseaux sanguins. Parler de clitoris qui déborde n’a aucun fondement scientifique », souligne-t-il.

Enfin, il se dit fermement opposé à toute idée d’« excision médicalisée » : « Nous luttons pour éradiquer cette pratique. Comment peut-on en même temps demander à former des médecins pour la pratiquer ? Il n’existe pas d’excision sans risque », conclut-il.

Malgré son interdiction légale, l’excision reste massivement pratiquée en Guinée. Le médecin encourage les femmes victimes vivant encore les complications de l’excision à témoigner, afin de mieux sensibiliser l’opinion. Il rappelle en outre que cette pratique n’apporte aucun bénéfice pour la santé : elle est douloureuse, traumatisante et laisse de profondes séquelles psychologiques.

M’Mah Cissé

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