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Madagascar : quand la France en rajoute à la confusion de la crise

A Madagascar, voilà désormais trois jours que le pays évolue dans un épais brouillard politique. Certes, il semble désormais établi que le président Andry Rajoelina a quitté le territoire national. Mais pour le reste, nul ne peut encore assimiler ce départ, manifestement en direction de Dubaï, à une perte effective du pouvoir. A Antananarivo, aucun des officiers militaires qui paraissent pourtant contrôler les principaux leviers du pays n’ose se proclamer « calife à la place du calife ». Et pour ne rien arranger à ce flou, la France semble avoir joué un rôle pour le moins ambigu dans l’exfiltration du président malgache. Une immixtion maladroite qui rappelle des pratiques que l’on croyait révolues dans les relations entre Paris et les dirigeants africains. Mais, décidément, certaines habitudes ont la peau dure.

Qui dirige aujourd’hui la Grande Île ? Une question à laquelle il est bien difficile de répondre tant la situation reste confuse. Depuis samedi, les rapports de force ont considérablement évolué au détriment du camp présidentiel. Le ralliement du CAPSAT (Corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques) aux manifestants du Collectif de la Gen Z a marqué un tournant décisif dans la crise. Cependant, cette bascule ne s’est pas encore traduite par un renversement clairement assumé du régime. Andry Rajoelina, qui reconnaît un « repli stratégique », justifie son départ par la nécessité de préserver sa vie et celle de sa famille. Jusqu’à hier matin encore, il n’évoquait nullement l’hypothèse d’une démission. Il semble d’ailleurs pouvoir compter sur un cercle de fidèles restés en poste, au point que les services de la présidence continuent à véhiculer les messages favorables au chef de l’Etat. Ainsi, même s’il ne s’est finalement exprimé hier que via les réseaux sociaux et avec plusieurs heures de retard par rapport à l’horaire qu’il avait fixé, il y a que la faculté même à se servir des canaux digitaux de la présidence est illustratif du fait qu’il n’a pas encore totalement perdu la main.

Du côté des contestataires, le tableau n’est guère plus limpide. Les officiers du CAPSAT, prudents, refusent de se déclarer détenteurs du pouvoir. Peut-être des négociations sont-elles en cours pour rallier les derniers soutiens du président à une nouvelle configuration politique. Ou peut-être des rivalités internes paralysent-elles déjà les nouvelles forces en présence. Toujours est-il qu’après plus de soixante-douze heures de flottement, nul ne sait réellement qui gouverne Madagascar.

A cette confusion s’ajoute un élément extérieur : le rôle pour le moins trouble de la France. Selon nos confrères de RFI, Paris aurait joué un rôle actif dans l’exfiltration du président malgache. On peut, dans un premier temps, partir de l’hypothèse que c’est par compassion que la France a agi. Dans ce cas, le caractère trouble résiderait tout de même dans le fait que le dirigeant que l’on secourt est désormais rejeté par une large partie de son peuple. De là à penser qu’Emmanuel Macron s’improvise parrain de présidents africains en difficulté, il n’y a qu’un pas qu’on n’aurait guère tort de franchir. En l’occurrence, les dénégations des autorités françaises ne suffiront pas à gommer les soupçons de ceux qui pourraient accuser Paris d’être partie prenante au bras-de fer qui se met désormais en place à Madagascar, entre d’une part, le camp fidèle au président, et de l’autre, celui des mutins.

Or, il se trouve qu’en plus, un accord a été conclu autour de la grâce présidentielle accordée à deux militaires, présentée comme la contrepartie exigée pour organiser la fuite du chef de l’Etat. Une telle manœuvre ne grandit pas la France. Car, exploiter la détresse d’un président africain affaibli pour lui arracher des concessions qu’il n’aurait pas consenties en temps normal rappelle davantage les méthodes d’un opportuniste que celles d’une nation se réclamant des Lumières. Et il ne faut pas s’étonner que de nombreux Africains y voient une nouvelle humiliation, infligée non pas à un homme, mais à tout un continent.

Boubacar Sanso Barry

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