Qu’elle est cruelle, cette disparition qui emporte Béchir Ben Yahmed en ce 3 mai, jour de fête pour les journalistes. Certes, à 93 ans, Covid ou pas, la mort fait partie de ces visiteurs impromptus que l’on doit s’attendre à recevoir. Mais dans le cas de “BBY“, comme l’appelaient les intimes, cela reste tout de même douloureux. D’autant qu’avec le magazine Jeune Afrique, le défunt aura incarné à la fois une forme de vision et de résilience qui forcent le respect pour qui connait tous les défis auxquels les médias sont confrontés sur le continent africain. Mais le natif de l’île de Djerba a quant à lui, trouvé sans doute dans sa passion pour le journalisme et le désir d’informer, les ressorts pour bâtir un magazine qui a aujourd’hui 60 ans et qu’il a hissé au rang des magazines de référence sur le continent noir. Du moins dans l’espace francophone. Et rien que pour cela, il mérite l’hommage qu’on lui rend aujourd’hui.
Avec le recul, on n’apprécie que mieux le choix de Béchir Ben Yahmed de s’orienter dans le secteur de la presse. Fils de commerçant et lui-même diplômé de HEC, il aurait pu en effet embarrasser une carrière où la rentabilité peut être à la fois plus rapide et plus évidente. De même qu’il aurait pu, comme beaucoup de ses camarades d’âge de l’époque, s’essayer à la politique. Surtout qu’en faisant de lui secrétaire d’Etat à l’Information, Habib Bourguiba, le premier président tunisien semblait lui ouvrir les portes de ce monde. Mais il devait mettre toutes ces perspectives de côté pour s’orienter vers la presse. Bien sûr, au-delà de la passion, il y allé avec le flair de l’homme d’affaire qui était l’autre trait de son caractère. Ceci étant, pour faire un tel choix, à l’aube des indépendances des pays africains, il fallait être animé d’une certaine vision.
Et la suite devait lui donner raison. En effet, de son magazine, il a fini par faire un hebdomadaire qui compte et dont l’avis et le point de vue pèsent sur l’espace francophone du continent africain. Séduisant et impressionnant aussi bien les classes dirigeantes que les opposant malmenés ou quelques intellectuels affirmés, Jeune Afrique a fait montre d’une longévité singulière. Bien sûr, avec l’avènement du numérique et surtout la survenue de la Covid-19 depuis plus d’un an, le magazine n’est pas aujourd’hui au meilleur de son niveau. De même qu’il a trainé et continue de trainer des suspicions de liens controversés avec quelques dirigeants par le biais de publireportages tout aussi controversés. Mais il suffit de se replonger dans certains papiers que le journal a consacrés à certains événements majeurs de l’Afrique dont la très meurtrière guerre du Libéria pour comprendre que le magazine ne se réduit pas à ses controverses. Aussi légitimes soient-elles.
Boubacar Sanso BARRY