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GUINÉE : la rançon de la complaisance de la CEDEAO

Depuis le lundi 1er août, Conakry tente de renouer avec les activités ordinaires. Ce, après une semaine qui a été particulièrement agitée par les violences ayant résulté de la manifestation que le Front national pour la défense de la constitution (FNDC) projetait pour le jeudi 28 juillet dernier. Des violences dont on a déploré 5 victimes et qui ont été suivies par un durcissement de la position des autorités, avec la traque et l’interpellation de certains responsables politiques et de la société civile, ainsi que l’impressionnant dispositif sécuritaire déployé aux alentours des sièges des principaux partis politiques. Des événements tragiques qui rappellent un passé qu’on s’était empressé de reléguer aux oubliettes. Mais le plus navrant, c’est que ce choc frontal n’aura surpris personne, eu égard à la dégradation progressive que l’on a observée ces derniers mois dans les rapports entre la junte guinéenne et les principaux acteurs politiques et de la société civile. Et c’est en cela que la CEDEAO, elle non plus, n’est pas exempte de reproches. En effet, elle a manqué d’anticipation.

Martiale à l’égard du Mali, complaisante vis-à-vis de la Guinée

L’idée ici n’est nullement de dédouaner les Guinéens auxquels il incombe en premier lieu la responsabilité de créer les conditions favorables à la paix et au développement dans leur pays. Mais il est évident que l’organisation sous-régionale n’aura pas, elle non plus, fait tout ce qu’il fallait pour éviter qu’on en arrive à ces images dramatiques dans les rues de Conakry et à cette extrême tension entre le CNRD d’une part, et la classe politique et la société civile, de l’autre. Alors qu’il a usé d’une approche martiale à l’égard de la junte au Mali, le duo que constituaient le président du Ghana et le président de la Commission, Jean-Claude Kassi Brou, s’est montré plutôt compréhensif à l’égard des autorités guinéennes. C’est ainsi que quasiment un an après l’avènement du CNRD au pouvoir, on ne s’est toujours pas accordé sur le temps qu’il fera aux affaires. Et même, plus d’une fois, les autorités guinéennes ont ouvertement défié l’organisation sous-régionale.

Défiance précoce

Une attitude de défiance qui s’est très vite manifestée de la part des autorités guinéennes. Ainsi, à la suite de la première rencontre de la CEDEAO autour de la crise en Guinée, assortie des sanctions classiques d’interdiction de voyage et de gel des avoirs des principaux acteurs du coup d’Etat, le colonel Amara Camara avait sèchement répondu que les membres du CNRD dont la mission se déroule en Guinée n’ont « pas besoin de voyager » et qu’il « n’y avait rien à geler sur leurs comptes ».

Puis, quand la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO a annoncé le choix porté sur le Ghanéen, Mohamed Ibn Chambas, comme envoyé spécial dans la crise guinéenne, c’est le colonel Mamadi Doumbouya, lui-même qui avait rejeté le principe même de la désignation d’un médiateur. « La nomination d’un Envoyé Spécial ne nous parait ni opportune, ni urgente, dans la mesure où aucune crise interne, de nature à compromettre le cours normal de la Transition, n’est observée », écrivait-il en novembre 2021 au président en exercice sortant.

Désaveu de Mohamed Béavogui

De même, quand le 12 décembre 2021, la CEDEAO, au terme de son sommet d’Abuja a indiqué que la Guinée – via le PM – s’était engagé en faveur de la mise en place du CNT avant le 31 décembre, le CNRD s’était empressé de se démentir. « Les négociations nécessaires pour le rapprochement des différentes positions et les délais de dépouillement incompressibles ne permettent pas au CNRD de tenir un quelconque engagement par rapport à la mise en place du CNT avant la fin de l’année 2021 », avait alors fait savoir la junte guinéenne via un communiqué relayé par les médias d’Etat.

Recadrage des chefs d’Etat

Finalement, ce n’est que le 25 mars 2022 que l’instance sous-régionale, manifestement agacée par les caprices de Conakry, a fini par hausser le ton. En effet, à la faveur du sommet tenu en cette fin mars à Accra, la CEDEAO avait exigé de la Guinée qu’elle produise un calendrier de la Transition au plus tard le 25 avril, sous peine de sanctions économiques et financières. Mais là aussi, le porte-parole du gouvernement ne s’était pas prié pour recadrer les chefs d’Etat. « Cela n’engage que ceux qui ont parlé. La Guinée n’était pas représentée à cette réunion. Ceux qui ont donné ce calendrier-là, en sont responsables. La Guinée continue d’évoluer au rythme de son peuple et en tenant compte des impératifs de sa situation », avait répliqué Ousmane Gaoual Diallo via un entretien accordé à nos confrères de Guineenews.

 N’empêche que c’est à la suite de cette menace-là que les quelques rares initiatives en rapport avec le retour à l’ordre constitutionnel ont été prises. C’est le cas du cadre de concertation, mais aussi de la proposition d’une durée de 39 mois par le colonel Mamadi Doumbouya en personne.

Depuis, les décisions se rapportant à la Guinée ont sans cesse été reportées. D’abord, à l’issue du sommet du 4 juin, elles ont été reportées au 3 juillet. Puis, à ce dernier sommet, s’abritant derrière le fait qu’elle venait de désigner un nouveau médiateur, en la personne de l’ancien président béninois, la CEDEAO a reporté les décisions au 1er août.

Communiqués laconiques et impression de toute-puissance

Plus que de la compréhension, c’est une complaisance qui émane de l’attitude de la CEDEAO. En un an de collaboration, on a l’impression que le rapport de force est plutôt en faveur de Conakry. En dehors des communiqués au ton laconique, l’organisation sous-régionale n’a jamais su hausser le ton à l’égard du colonel Mamadi Doumbouya et de ses camarades. Et il n’est pas exclu que l’impression de toute-puissance que nourrit la junte guinéenne soit consécutive à ce laxisme des chefs d’Etat de l’ouest-africain.

Une CEDEAO inefficace

Deux explications sont avancées pour rendre compte de cette indolence. D’abord, la CEDEAO ne serait pas aussi efficace que certains à Conakry, pourraient le croire. Une hypothèse illustrée par les manœuvres plutôt laborieuses de l’organisation à l’égard du Mali. D’ailleurs, à propos de la crise au Mali, il importe de noter que la victoire dont peut se vanter la CEDEAO reste somme toute relative. En effet, si Assimi Goïta et les siens ont bien fait des concessions en passant des prétentions initiales de 5 ans à 2 ans, il convient de faire remarquer qu’en dernier ressort, les exigences de la CEDEAO qui étaient de 12 à 16 mois n’ont pas pu prospérer. Or, analysent les observateurs, « quand on sort d’une crise aussi éprouvante, on ne s’empresse pas nécessairement d’engager un autre bras de fer ».

La France comme parrain

L’autre hypothèse mise en avant pour expliquer l’indulgence de la CEDEAO à l’égard des autorités de la Transition en Guinée, se rapporte au soutien que la France de Macron témoignerait à Mamadi Doumbouya. Chassée du Mali, contestée dans les rues à Ouagadougou, Niamey et Dakar et très critiquée par l’opposition tchadienne, la France n’aurait pas envie de se fâcher avec le locataire du palais Mohamed V. Surtout que Macron a conscience que la Russie est aux aguets. Or, il se trouve que si, dans l’espace ouest-africain, un dirigeant a les faveurs de Paris, la CEDEAO ne peut qu’acquiescer. C’est dire que ces batailles géopolitiques joueraient aussi en faveur du colonel Doumbouya vis-à-vis de l’organisation sous-régionale. Il s’y ajoute que dans le cas de Mamadi Doumbouya, il a par le passé servi dans le Légion étrangère de la France. Et que son épouse, elle-même, est française de souche. Pas étonnant donc que la France se montre protectrice, en pareilles circonstances.

En tout cas, il importe de noter que c’est le même attentisme qui avait été reproché à la CEDEAO quand les Guinéens se battaient contre le troisième mandat d’Alpha Condé. Vu qu’elle avait adopté la même attitude dans le cadre des crises en Côte d’Ivoire et au Mali, il n’est pas exclu que le discrédit qui en avait résulté pour elle, ait facilité le retour des coups d’Etat de la sous-région. Finalement, c’est à croire qu’elle tire pas tous les enseignements de ses turpitudes passées.

Boubacar Sanso Barry   

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