Le rejet de la France en Afrique ne doit plus être traité avec banalité et simplisme, en se contentant de l’assimiler aux manœuvres de dirigeants africains aussi inexpérimentés que populistes et qui, de surcroit seraient manipulés par des puissances concurrentes à l’ancienne puissance coloniale. De la part de la France en particulier, le débat doit être abordé de manière plus sérieuse. Parce qu’après la Centrafrique, le Mali et maintenant le Burkina Faso, il serait naïf de penser que le sujet est marginal. Surtout si l’on prend en compte toutes les récriminations que l’on entend dans le sillage des manifestations dans les rues des capitales africaines et que l’on lit sur les réseaux sociaux. Il s’y ajoute que les rapports entre l’Afrique et la France ne sont vraiment pas exempts de reproches. Mais il n’y a pas que la France qui doit changer. Du côté africain aussi, il y a bien des choses à revoir.
La rupture, on attend toujours
Ainsi donc, les troupes françaises au Burkina Faso sont appelées à plier bagages dans un délai ne devant pas excéder un mois. Est-ce une surprise ? Pas franchement. Quand on a suivi les relations entre la France et le pays des hommes intègres depuis que le capitaine Ibrahim Traoré a remplacé, début octobre dernier, le colonel Damiba, le renvoi des soldats français par les nouvelles autorités burkinabè s’inscrit plutôt dans une certaine logique. Mais du côté français, cette nouvelle brouille devrait amener à réfléchir. A coup sûr, il y a quelque chose qui ne va pas et une remise en cause s’impose. Il ne s’agit plus de réduire le débat aux personnes des présidents Touadera, Goïta ou Traoré. Il est temps d’y aller avec lucidité et interroger objectivement les reproches qui sont faits à la France, dans les rapports qu’elle entretient avec l’Afrique. Parce qu’il est clair que les promesses de rupture que Sarkozy, Hollande et Macron ont faites tardent toujours à se concrétiser pour les peuples africains. Autrement, on n’en serait pas là encore.
L’hypocrisie de la France
En particulier, la France se doit de revoir sa coopération militaire avec l’Afrique. Plus que le FCFA, les soldats français en Afrique font de nos indépendances une farce. La France a probablement sauvé Bamako de l’invasion islamiste, mais le rôle des militaires français dans la crise politique ivoirienne de 2010-2011 demeure controversé. En réalité, le rejet des troupes françaises qui s’exprime ces dernières années dans les rues africaines n’est que l’aboutissement des années de frustrations et de malaise, résultant d’une perception négative du rôle que les soldats de l’ancienne métropole jouent sur le continent noir. Un rôle qui illustre à bien des égards l’hypocrisie de la diplomatie française sur les terres africaines. Si elle se plait à s’afficher en berceau des droits de l’homme et de la liberté, la France, à travers ses soldats, n’en demeure pas moins un parrain et une protectrice des dictateurs dont la jeunesse africaine peine toujours à se débarrasser. En effet, à qui doit-on les dynasties établies au Gabon et au Togo et celle en passe de l’être au Tchad, si ce n’est à la protection militaire française ? N’est-ce pas avec la complicité au moins passive de la France que Denis Sassou Nguesso est revenu au pouvoir ? Quid de la longévité insolente de Paul Biya au Cameroun ?
Les principes et valeurs au cœur de la diplomatie française
Soyons clairs, avec ses soldats, la France est toujours restée maître à bord dans ses anciennes colonies. Au gré de ses intérêts, elle a protégé les dirigeants à sa solde et éjecté ceux qui ont tenté de s’en émanciper. Il n’a donc jamais été question de droits humains et de démocratie. Il n’a par conséquent jamais été question de valeurs. Des intérêts et rien que des intérêts. Cela a peut-être marché dans le contexte de la guerre froide ou même après la chute de l’URSS. Mais dans un monde désormais caractérisé par la multipolarité et une jeunesse africaine mieux formée et plus informée, le logiciel doit nécessairement évoluer. La France doit fondamentalement revoir sa diplomatie, en veillant à ce que les principes et les valeurs en soient le cœur.
Indépendance authentique et totale
Mais les dirigeants africains qui s’empressent de crier ‘’France, dehors’’, ont aussi droit à une sévère mise en garde. Le renvoi de la France, quoiqu’approuvé par la rue, ne doit être perçu comme un blanc-seing. L’objectif ne doit pas se limiter à la chasse des soldats français. Le fond du débat, c’est l’indépendance authentique et totale de l’Afrique. Il ne s’agit nullement de renvoyer un colonel pour aller ensuite s’enchainer à un autre. Or, c’est un peu ce à quoi on a jusqu’ici assisté en RCA et au Mali. Et le Burkina Faso emprunte manifestement le même chemin. Renvoyer la France, pour faire entrer la Russie, c’est là une voie sans issue. Parce que si comme le chantent certains, la Russie, la Chine ou encore la Turquie, ne se mêlent pas de nos affaires intérieures, elles ne sont pas moins guidées par des intérêts. En particulier, il est notoirement admis que la Russie n’est pas un partenaire de développement. Elle est curieusement attirée par les pays en crise sécuritaire et avec un fort potentiel en matières premières. Parce qu’il lui faut écouler ses armes et exploiter les ressources. Et c’est à l’Afrique de ne pas se laisser éblouir et berner…une nouvelle fois.
Boubacar Sanso Barry