La Centrafrique, le Mali, le Burkina Faso et le Niger symbolisent à eux quatre un recul sans précédent de la France en Afrique. Une perte d’influence de l’ancienne puissance coloniale qu’on ne peut ni nier, ni passer sous silence, tant elle est flagrante. Et c’est un bilan qui sera collé au passage d’Emmanuel Macron à la tête de son pays. Mais est-ce réellement lui le responsable de cette brusque accélération des choses ? Quels péchés lui sont-ils imputables, lui dont la jeunesse et l’irruption soudaine au-devant de la scène politique française auguraient d’un meilleur virage dans les relations franco-africaines ? Par ailleurs, quelle est la part d’héritage qui lui obstrue la voie ? Quels actes posés par ses prédécesseurs l’ont-ils empêché d’honorer sa promesse de refonte de la politique africaine de la France ? Parce qu’il y a sûrement les deux. Jeune et fringant, Emmanuel Macron, en arrivant à la tête de la France en 2017, avait contre lui son inexpérience et sa méconnaissance de l’Afrique. Mais il est tout aussi vrai que le contexte dont il a hérité était loin d’être un cadeau.
Le contraste
Le contraste est saisissant. A sa proclamation comme vainqueur du second tour de la présidentielle française, le 7 mai 2017, Emmanuel Macron incarnait un symbole pour une frange importante de la jeunesse africaine. En faisant imploser les partis traditionnels français et surtout en arrivant à la tête de son pays à un si jeune âge, il redonnait un certain espoir à de jeunes loups politiques du continent ayant trop longtemps enduré le diktat de « dinosaures » réfractaires à l’alternance à la tête des partis politiques. Mais au cœur de cet été 2023, ce même Macron est la cible des jeunes qui manifestent à Niamey. Ce même Macron de qui on exige qu’il rapatrie ses soldats du Burkina Faso et du Niger. Que s’est-il passé pour que celui qui devait incarner la rupture de la Françafrique soit perçu comme le continuateur attitré de cette relation incestueuse entre la France et ses anciennes colonies ?
Afrique, le terrain était déjà miné
Une première réponse réside dans l’héritage légué à ce jeune président, à son arrivée à l’Elysée. En effet, de quoi a-t-il hérité ? D’une relation franco-africaine déjà perçue comme étant largement défavorable voire néfaste à l’Afrique. Le processus de dénonciation et de remise en cause de la coopération entre l’Afrique et la France est en cours depuis longtemps. On avait d’abord pensé que c’est Sarkozy qui opérerait la rupture. Puis, Hollande, le socialiste. Deux éléments ont souvent été mis bout-à-bout pour légitimer la dénonciation de la France. D’abord, le peu d’impact que cette relation a eu sur le quotidien des pays africains. Ensuite, le soutien que l’ancienne puissance coloniale a souvent témoigné à l’égard de dirigeants dénoncés dans leurs pays pour prévarication économique ou violation des droits humains. Un autre élément de cet héritage, c’est l’invasion de la Libye dont le lien avec l’insécurité qui s’est désormais généralisée dans le Sahel fait l’unanimité au niveau des observateurs. La présence de l’armée française, grande source de l’hostilité contre le pays de Macron, ne date pas, elle non plus d’aujourd’hui. Dispositif central de ce que les Africains décrivent comme un « colonialisme inachevé », cette présence quelquefois un peu trop voyante des troupes françaises est particulièrement la cible des ‘’panafricanistes’’.
Inexpérience, incohérence…les péchés de Macron
Emmanuel Macron n’a donc pas hérité du meilleur des contextes. Mais on ne peut pas dire qu’il a aidé à arranger les choses. Loin de là. D’abord, il n’est pas sûr qu’il ait toujours compris ce qu’impliquait sa promesse de réformer ces relations franco-africaines. Il était sans doute trop inexpérimenté pour en comprendre toute la complexité. Ainsi, plus d’une fois, il a renouvelé sa ferme détermination à opérer la rupture. Le discours de Ouagadougou, en novembre 2017, le sommet de Montpellier avec les jeunes, son discours sur le nouveau partenariat avec l’Afrique de février dernier ou encore son déplacement de mars 2023 en Afrique centrale sont des tentatives de renouvellement de ces relations. Disant avoir écouté et entendu les critiques de la condescendance et du paternalisme français, il a à chaque fois promis de substituer à ceux-là, humilité et respect de l’Afrique. Mais dans les faits, il n’a pas toujours réussi à matérialiser cette promesse. La dernière illustration de cette incapacité réside dans la réaction au coup d’Etat au Niger. Dans un contexte où il était évident que le rejet de la France ferait l’objet d’instrumentalisation, la France aurait dû y aller avec plus de discrétion. Mais au lieu de cela, et lui et sa ministre des Affaires étrangères, Catherine Colona, se sont fendu de déclarations tonitruantes et belliqueuses particulièrement contreproductives. D’autant que la CEDEAO passait déjà pour une officine au service de Macron. De même, il y a quelques mois, en RDC, il avait quelque peu heurté les Congolais en tentant maladroitement de défendre son ancien ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian, à propos de la formule du « compromis à l’africaine ». S’étant quelque peu « droitisé », le président français mène également une politique migratoire qui fait de lui un co-responsable des drames humains qui se jouent dans le désert du Sahara et en mer méditerranée. Emmanuel Macron a par ailleurs fait montre d’une incohérence qui ne pouvait que brouiller son message. Condamner le troisième mandat d’Alpha Condé et comprendre celui d’Alassane Ouattara, d’une part, adouber Mahamat Idriss Deby et fustiger Assimi Goïta, de l’autre, ont été perçus comme relevant d’une diplomatie du deux poids deux mesures.
En fin de compte, la jeunesse qui devait lui servir d’atout, passe pour un défaut pour Emmanuel Macron. Parce qu’il était sans doute trop jeune pour avoir une claire conscience des défis qui l’attendaient sur le terrain africain. Sans grande expérience de la gestion de l’Etat, il aura aussi péché par une certaine suffisance qui l’incline à ne ni consulter, ni écouter et finalement à persister, même quand il est dans l’erreur. Parce que n’ayant pas acquis la sagesse d’admettre que tout-puissant président qu’il est, il peut et doit se tromper. Conséquence, son pays perd du terrain au profit de la Chine, de la Russie, de la Turquie, de l’Inde, entre autres.
Boubacar Sanso Barry