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N’famara Keïta : un des fondateurs de l’armée guinéenne, oublié par la mémoire collective

C’est un constat qui fait plutôt consensus. L’histoire de la Guinée en général et celle de l’indépendance à nos jours en particulier, n’est pas nécessairement bien connue. En tout cas, tout le monde n’en a pas la même lecture. C’est plutôt à chacun son histoire. Et l’illustration de cette vision fragmentaire des choses s’incarne en particulier dans les rôles attribués par la mémoire collective à tel ou tel acteur notamment dans le processus de quête de l’indépendance du pays. Quand quelques-uns sont installés très haut sur le piédestal, d’autres sont reclus dans la pénombre. On en a même dont la contribution est tout simplement niée, dans la mesure où ils ne sont ni dans les ouvrages, ni dans les discours d’hommage. C’est un peu le cas de N’famara Keïta, un des fondateurs de l’armée guinéenne, mais dont personne ne se souvient. Oui, il est vrai que Sékou Touré, Noumandian Keïta et Kaman Diaby ont incontestablement joué un rôle dans la mise en place de la toute nouvelle armée de la jeune république de Guinée, au lendemain du 2 octobre 1958. Mais l’absence de N’famara Keïta de cette liste relève d’une certaine injustice.

Vu les circonstances plutôt particulières dans lesquelles les relations entre la Guinée et la France ont été rompues le 2 octobre, un des tout premiers défis auxquels le nouvel Etat s’est attaqué, a été la mise en place d’une armée. Et pour ce faire, le 1er novembre 1958, le président Sékou Touré créait au sein de son gouvernement, un Secrétariat d’Etat en charge de la création de l’armée nationale. Dans la foulée, c’est N’famara Keïta, à l’époque âgé de 34 ans, qu’il charge de piloter ce chantier des plus stratégiques. Il faut dire que N’famara, natif de Molota (Kindia) n’était pas inconnu du jeune président guinéen. En effet, membre du bureau politique du PDG-RDA, il s’était fait élire, à l’occasion des consultations municipales de 1956, maire de la ville de Kindia, au même titre que Sékou Touré à Conakry, Saïfoulaye Diallo, à Mamou, Magassouba Moriba, à Kankan et Sagno Mamadi, à N’zérékoré. C’est donc à un compagnon de route que Sékou Touré renouvelle sa confiance, en le chargeant de piloter le projet de création de l’armée guinéenne.

Conscient de l’enjeu, celui-ci, appuyé par le Secrétariat général chargé de la direction et de l’organisation de l’armée, créé également dans la foulée et dirigé par le capitaine Noumandian Keïta, ne perd pas du temps. Ainsi, dès le 16 décembre 1958, l’ordonnance N°23/PRG portant création de l’armée nationale était signée par le président Ahmed Sékou Touré. Puis, sur la période 1958-1959, les statuts de la nouvelle armée guinéenne étaient rendus disponibles. Parallèlement à la mise en place de ce cadre légal et règlementaire, le secrétaire d’Etat en charge de la création de l’armée se bat sur le front de l’opérationnalisation de cette dernière. Ainsi, en 1959, il négociait des bourses d’études et de perfectionnement avec notamment l’Union soviétique, en faveur de jeunes officiers et sous-officiers de l’époque. Au nombre des bénéficiaires de cette initiative, on peut citer : Siaka Touré, Abraham Kabassan Keita, Jean Traoré, Mamadou Baldé, Doubani Konaté – père du général Sékouba Konaté – Baourou Condé, ou encore Abdourahmane Diallo. Préalablement, dans le cadre du contentieux franco-guinéen, il avait œuvré pour le rapatriement et l’intégration dans la nouvelle armée guinéenne, des militaires démobilisés de l’armée française. « Le premier contingent est rentré du Sénégal le 22 novembre et le second, d’Algérie, le 31 décembre 1958 », précise Mariame Keïta, petite fille de N’famara. Le général Lansana Conté, ancien président de la République (1984-2008) était de ce deuxième contingent.

Mais l’histoire ayant ses caprices à elle, c’est à la suite du coup d’Etat piloté par ce même général Lansana Conté, en 1984, après la mort de Sékou Touré, que N’famara Keïta qui avait entre temps assumé bien d’autres responsabilités dont celles de ministre du Plan (1960) et des Affaires économiques et de la Coopération internationale (1964), a été arrêté et détenu à Kindia où il est mort le 2 septembre 1984. D’une certaine façon, victime de l’armée dont il avait contribué à la création.

Pourtant, dans son ouvrage ‘’Ahmed Sékou Touré, l’homme et son combat anti-colonial (1922-1958)’’, Sidiki Kobelé Keïta rapporte que N’famara Keïta est de ceux qui avaient émis le souhait de conférer à l’armée, au-delà des missions classiques de défense du territoire et de maintien d’ordre dans le pays, celle de développement économique de la Guinée. Citant l’ancien secrétaire d’Etat en charge de la création de l’armée, il écrit à propos : « Nous tenons à ce que l’armée soit intégrée dans l’économie nationale ; les militaires devront contribuer à la mise en valeur du pays, en exploitant par exemple, les terres de Haute Guinée pour la culture de riz ». Fin de citation.

Comme on s’en rend donc compte que feu N’famara Keïta, au côté d’autres acteurs de l’époque, a bien joué un rôle central pour la création de l’armée dont c’est aujourd’hui l’anniversaire. Mais ce rôle a jusqu’ici été passé sous silence.

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