Un État comme la Guinée, qui n’offre que la fonction publique comme unique opportunité d’emploi à sa jeunesse, la condamne dans une large mesure au chômage et à la précarité. Alors qu’au même moment, dans des pays voisins comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, le secteur privé demeure le principal pourvoyeur d’emplois du fait de politiques publiques volontaristes visant à améliorer le cadre d’investissements et le climat des affaires.
Dans un État où le SMIG est égal à 60 euros et les mieux payés des fonctionnaires perçoivent 450 à 500 euros, peut-on s’attendre à une efficacité du service public ?
Un tel État ne prépare-t-il pas de futurs clients à la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) ?
En Guinée, une certaine jeunesse dans le désespoir, attirée par le gain facile et l’accumulation illicite mais rapide de richesses opte pour son intégration dans la fonction publique, encouragée en cela par certains prédateurs dont le rythme de vie frôle le luxe ostentatoire alors qu’ils ne sont que de simples commis de l’Etat.
La triste réalité est qu’avec un besoin de recrutement de 16.000 fonctionnaires, à la date du 09 novembre 2023, 88 491 candidats se sont inscrits sur la plateforme, 22 353 ont payé les frais d’inscription (100 000 GNF non remboursables), soit 2 235 300 000 GNF (plus de 245 000 €) déjà mobilisés.
Des pseudo défenseurs de la démocratie, de l’Etat de droit et des Droits de l’homme, autrefois militants dans des partis politiques ou activistes dans la société civile, devenus des thuriféraires d’une junte en déperdition, se sont emmurés dans un silence assourdissant car quand on mange on la ferme et on fait des atalakous pour justement conserver son mangeoire.
Si les États ont un rôle primordial à jouer dans l’émancipation des jeunes en investissant massivement dans leur éducation et en créant et favorisant par le secteur privé les conditions de leur employabilité, il me semble tout aussi indispensable d’interpeller cette jeunesse sur le rôle important qui est le sien notamment dans la persistance des maux qui nous accablent.
Parfois, je me dis qu’on ne peut rien faire pour cette jeunesse qui, en connivence avec des dirigeants-prédateurs, participe directement et activement à la confiscation de son avenir.
En raison du maintien du statut quo, on peut se permettre de croire qu’une telle jeunesse mérite des dirigeants corrompus et incultes comme le légionnaire Mamadi Doumbouya et sa bande qui hypothèquent son avenir et font de son présent un véritable enfer sur terre.
On pourrait se permettre de penser que cette jeunesse-là mérite l’école au rabais, les bourreaux et les affres de la Méditerranée.
La situation est telle que nous avons une jeunesse qui n’aspire nullement à construire une société meilleure chez elle. Elle aspire plutôt à profiter d’un système tordu. Elle court après celui qui distribue le poisson et elle tourne le dos à celui qui veut lui apprendre à pêcher.
Elle ne condamne pas la corruption, elle condamne le fait qu’elle ne soit pas directement bénéficiaire de la corruption. Une jeunesse qui ne fait usage de sa data que pour regarder, pendant des heures entières, des directs sur des « sugar daddy », des sorcières et des clash d’artistes, mais qui n’en consacre pas pour suivre des cours gratuits en ligne, des capsules vidéos édifiantes sur la vie du pays et le fonctionnement de l’Etat ou des livres sur l’entrepreneuriat.
Une jeunesse qui passe son temps à insulter et à faire de la “titrologie ” sur les réseaux sociaux, mais qui est trop paresseuse pour Googler la vraie information ou la définition d’un mot.
Je désespère à la vue d’une telle jeunesse qui brûle les drapeaux des puissances occidentales supposées impérialistes à qui elle attribue tous ses déboires sans jamais questionner la responsabilité de ses propres dirigeants.
Je désespère à la vue de cette jeunesse qui brandit fièrement le drapeau de la fédération de Russie censée être le messie et qui est constamment en recherche de bouc-émissaires sans jamais questionner son propre rôle.
Je désespère davantage à la vue de cette jeunesse qui préfère vendre sa voix et sa signature sur un procès-verbal pour un montant dérisoire de 50.000 GNF, une assiette de riz et un tee-shirt, plutôt que de rester à surveiller les urnes.
Une telle jeunesse devrait-elle être exonérée de toute responsabilité dans le drame que nous vivons ?
La réponse me semble résider dans la question ainsi posée.
Sekou Koundouno
Responsable des Stratégies et Planification du FNDC