On y avait vu un certain progrès en Afrique. Le fait que globalement entre la fin des années 80 et le tournant de l’année 2020, la tendance était que les militaires ne commandent pas au sommet des Etats. Le mot d’ordre était si ancré que même un président de la Transition qui voulait se succéder à lui-même devait symboliquement renoncer d’abord à son uniforme kaki, pour être quelque peu acceptable. L’idée était de cantonner les militaires dans leur mission régalienne de défense de l’intégrité territoire et de l’Etat, à travers les institutions qui l’incarnent. Ce, même si dans les faits, dans la quasi-totalité des pays alors dirigés par des civils, le pouvoir réel était détenu par l’armée. Mais avec ce qui se profile dans les pays aujourd’hui en transition militaire sur le continent, on devrait rompre même avec la dimension cosmétique du pouvoir civil. Le caractère simultané des transitions et le discrédit du camp démocratique occidental font que les militaires ne se sentent plus si isolés au point de négocier leur maintien au pouvoir. En conséquence, il n’est plus sûr qu’ils soient obligés d’ôter l’uniforme pour être acceptables. Or, ils ne semblent plus se résoudre à manœuvre en étant dans l’antichambre du pouvoir. Eux-mêmes veulent tenir le gouvernail désormais.
Même si le Tchad est un cas particulier, en ce sens que le père de l’actuel président lui-même, gardait son statut militaire, on peut relever que le général Mahamat Idriss Deby a estimé qu’il fallait laisser les choses en l’Etat. Dans la sous-région et à travers le monde, personne n’y a trouvé à redire. Par contre, au Gabon, on risque de passer d’un total de 55 ans de pouvoir civil – certes d’une seule famille – vers un pouvoir militaire. Parce que la constitution gabonaise adoptée le samedi dernier par plus de 90 % des électeurs permet bien au général Clotaire Oligui Nguema de se porter candidat. Or, lui-même le veut manifestement. De même, en Guinée, même si le président de la Transition avait initialement promis qu’il n’entendait pas se porter candidat, les signaux qui sont aujourd’hui renvoyés à travers tous les mouvements de soutien qui évoluent sur le terrain donnent à croire que ces promesses ne prévalent plus. Or, là aussi, en l’absence d’une véritable opposition, pourvu qu’il le veuille effectivement, le général Mamadi Doumbouya remportera la prochaine présidentielle. Il en sera sans doute de même au Mali et au Burkina Faso. D’autant que dans ces deux pays, la crise sécuritaire servira de prétexte suffisant pour justifier que les présidents de Transition, présentés comme plus aptes faire face à un tel défi, demeurent encore en place. Dans une moindre mesure, les mêmes arguments prévaudront en faveur du général Abdourahmane Tiani, au Niger.
L’on notera que dans chacun de ses quatre derniers pays, c’est à des présidents civils que ces pouvoirs militaires pourraient alors succéder. Et l’on peut interroger les répercussions que le triomphe de ces dynamiques dans chacun de ces pays pourrait avoir pour le reste du continent en général et dans les pays aujourd’hui commandés par des civils en particulier. Dans un contexte où les coups d’Etat seraient un peu plus tolérés alors, n’assistera-t-on pas à une recrudescence des putschs en vue de généraliser le retour des militaires au pouvoir sur l’ensemble du continent ? Solidarité de corps obligé ? La perspective est d’autant plus à redouter qu’au niveau mondial, le modèle démocratique inspiré de l’occident est aujourd’hui ébranlé par l’émergence de leaders très peu enclins à se conformer aux principes qui faisaient office de standards pour le monde depuis la seconde guerre mondiale. Se sentant floué par les politiciens dits de métier, le monde se tourne désormais vers des leaders dits forts et franc-parleurs. Quitte à ce qu’ils soient excentriques, populistes, autocrates ou complotistes. Or, en Afrique, des leaders qui cochent dans toutes ces cases, on en trouve plutôt dans les armées. Il y a donc quelques raisons de s’inquiéter pour l’avenir proche.
Boubacar Sanso Barry