Le contraste est saisissant. D’une part des élections législatives, provinciales et locales d’une portée telle que les dernières législatives au Tchad remontent à 2011. De l’autre, des bureaux de vote avec des électeurs arrivant au compte-goutte par un temps pourtant plus que clément. Cette image empreinte de paradoxe suffit à elle seule pour rendre compte du climat dans lequel le triple scrutin s’est déroulé ce dimanche 29 décembre à N’diamena et dans les autres localités du Tchad. Des élections générales que les autorités s’évertuent à présenter non sans une certaine forme de triomphalisme comme le couronnement de la Transition de trois ans. Mais dans les faits, il s’agit de trois élections qui consacrent la fin du processus de succession dynastique de Deby père par Deby fils, dans un Tchad où le concept de la démocratie a des allures d’une monarchie qui ne dit pas son nom.
La boucle bouclée
Ça y est ! Pour le tout fringant Maréchal Mahamat Idriss Deby Itno, la boucle est désormais bouclée ! Le pari est réussi ! Le fils succède au père qui, lui-même, avait régné plus 30 ans durant sur le Tchad. Les trois élections d’hier sont en soi l’illustration du fait que l’objectif est atteint. Après avoir piloté la Transition et remporté la présidentielle de mai dernier avec 61,3 % des voix, le nouveau président tchadien est désormais assuré de contrôler tous les leviers du pouvoir. Il n’est même pas nécessaire d’attendre les résultats des élections. Dans ce pays, cela n’a jamais fait d’un quelconque enjeu, le président et son parti étant toujours assurés de l’emporter. Et dans le cas d’espèce, les choses sont d’autant plus prévisibles que l’opposition a fait le choix du boycott. Ce qui pourrait expliquer le peu d’enthousiasme que les électeurs tchadiens ont manifesté à l’égard de ces élections. Très peu d’électeurs s’étant rendus dans les 26 617 bureaux de vote.
Le même pouvoir à une exception près
Ainsi donc, le pouvoir du fils est parti pour ressembler à celui du père, à savoir un pouvoir sans opposition. Encore que cela était prévisible. Un des messages qu’il faille tirer de la sanglante répression des manifestations du 20 octobre 2022 étant que la contradiction n’est pas de mise au Tchad. Un message tragiquement réaffirmé le 28 février 2024, avec la mort de Yaya Dillo Djerou, le leader du Parti socialiste sans frontières (PSF), à la suite d’un raid des forces de sécurité ciblant le siège de son parti. Il faisait alors office du principal opposant au régime de Mahamat Idriss Deby. Finalement, dans la gestion du Tchad par les Deby, la seule chose qui change, c’est l’attitude à l’égard de l’ancienne puissance coloniale. Même s’il manifestait de plus en plus un agacement vis-à-vis de l’ingérence de la France dans les affaires africaines en général et tchadiennes en particulier, Idriss Déby Itno s’était néanmoins gardé de rompre le cordon ombilical que son fils, à peine élu en mai dernier, s’est empressé de couper le 28 novembre 2024, en demandant à l’armée française de débarrasser le plancher. Epousant en cela l’air du temps, il fait valoir ainsi un leadership décomplexé vis-à-vis d’Emmanuel Macron qui l’a pourtant parrainé.
Une opposition indigne de confiance
Mais dans la perpétuation du contrôle absolu des Deby sur le Tchad, les Tchadiens et les immenses richesses de ce pays pétrolier, il n’y a pas que le pouvoir qu’il faut blâmer. Les opposants y ont aussi leur part de responsabilité. En effet, au Tchad, les opposants ne sont pas eux non plus toujours à la hauteur. S’ils se plaisent à jouer aux héros en pourfendant parfois le pouvoir en place, ils n’hésitent pas cependant à aller à la soupe, quitte à sacrifier le crédit investi en eux et leurs convictions à la fois. C’est ce que Saleh Kebzabo a fait tout au début de la Transition, en venant servir comme premier ministre auprès de Mahamat Idriss Deby Itno, avalisant au passage la succession dynastique. Et c’est ce que Succès Masra, le leader du parti des Transformateurs et porte-étendard d’une opposition tchadienne qu’on croyait plus lucide et en phase avec les aspirations intimes des Tchadiens. Hélas, lui aussi avait fini par conclure un accord sur l’autel des victimes de la répression du 20 octobre 2022, pour devenir premier ministre.
En fin de compte, les Tchadiens, ballotés entre un pouvoir devenu absolu et incapable de prendre en charge leurs préoccupations et une opposition, indigne de leur confiance, préfèrent se désintéresser de la politique pour s’en remettre à la fatalité de leur sort peu enviable.
Boubacar Sanso Barry