La Guinée, terre de résistances et de grandes figures historiques, est aujourd’hui confrontée à un mal insidieux : la disparition progressive de ses valeurs culturelles et morales, remplacées par un mimétisme occidental de plus en plus marqué. Dans un pays où la parole des anciens a toujours structuré la société, où la solidarité communautaire et le respect des traditions ont longtemps été les fondements du vivre-ensemble, nous assistons à un bouleversement profond qui menace l’essence même de notre identité guinéenne.
Nos aînés, dépositaires du savoir ancestral, s’éteignent jour après jour, emportant avec eux une richesse inestimable. Ces gardiens de la mémoire collective, qui transmettaient par l’oralité des récits, des pratiques culturelles, des valeurs de respect et de dignité, ne trouvent plus d’oreilles attentives chez une jeunesse de plus en plus absorbée par les réseaux sociaux, la culture de l’instantanéité et l’idéalisation d’un mode de vie occidental souvent déconnecté de nos réalités. Aujourd’hui, la sagesse de l’ancien est perçue comme dépassée, le savoir traditionnel est relégué au second plan, et l’apprentissage des langues locales recule au profit d’un français omniprésent, voire d’un mélange d’expressions empruntées à l’argot occidental.
Le respect des valeurs qui structuraient la société guinéenne s’effrite : le sens du “sanakouya” (parenté à plaisanterie), qui favorisait la cohésion sociale, s’affaiblit ; les rites de passage et les cérémonies initiatiques, qui permettaient de transmettre l’histoire et les responsabilités sociales, disparaissent progressivement ; l’esprit de solidarité communautaire, qui faisait de chaque enfant l’enfant de tout le village / quartier, s’efface au profit d’un individualisme grandissant.
Mais plus grave encore, cette rupture avec nos racines laisse place à une société en perte de repères. L’enrichissement personnel devient la seule finalité, au détriment des principes d’intégrité et de justice qui faisaient la fierté de nos ancêtres. La quête effrénée de modernité, perçue comme une nécessité pour “réussir”, pousse à l’adoption de comportements et de valeurs importés, sans réflexion sur leur compatibilité avec notre tissu social. Résultat : une jeunesse déracinée, qui méprise ses propres traditions tout en cherchant désespérément un modèle à suivre ailleurs.
Face à cette situation, il est urgent de réhabiliter la place des anciens, d’encourager la transmission des savoirs endogènes, de valoriser nos langues locales et d’intégrer nos cultures dans les systèmes éducatif et médiatique. Il ne s’agit pas de refuser l’ouverture au monde, mais d’éviter une modernisation à marche forcée qui nous ferait perdre ce que nous avons de plus précieux : notre identité guinéenne.
Si nous n’agissons pas, l’histoire nous jugera. Et nous risquons de laisser à nos enfants non pas un héritage riche et enraciné, mais une Guinée vidée de son âme, spectatrice de sa propre disparition culturelle.
Souleymane Kourouma
MoDeL