Un conflit domanial d’une ampleur considérable secoue le village de Djoma Tiguibery, dans la préfecture de Siguiri, à plusieurs centaines de kilomètres de Conakry. En jeu : un terrain de près de 100 hectares au cœur d’un litige opposant la famille Sikafodela à la famille Gninantèninna.
La première affirme être propriétaire coutumière du domaine depuis plusieurs générations. La seconde, quant à elle, brandit des décisions judiciaires en sa faveur, rendues successivement par le tribunal de première instance de Siguiri, la cour d’appel, puis la Cour suprême.
Accusations d’expropriation et destruction de biens
Du côté de la famille Sikafodela, on dénonce une expropriation illégale, réalisée sans consultation ni indemnisation, avec, selon eux, la complicité de certains responsables locaux et judiciaires. Le terrain, historiquement utilisé pour l’agriculture, aurait été dévasté : arbres fruitiers déracinés, maisons démolies, clôtures arrachées.
Contacté par notre rédaction, Souleymane Keita, l’un des héritiers de la famille Sikafodela, affirme : « C’est un héritage transmis par nos ancêtres depuis la création du village. Ce terrain nous appartient. Nous y avons planté des manguiers et des anacardiers. L’autre famille ne peut prouver aucune occupation, aucun arbre, aucune trace. Tout le village peut témoigner ».
À la question de savoir s’ils détiennent des documents légaux, Keita admet l’absence de titres fonciers mais insiste sur la légitimité coutumière.
« Nous n’avons ni acte de cession ni titre foncier, mais nous exerçons paisiblement notre droit depuis des décennies. Ceux qui prétendent aujourd’hui être les propriétaires n’ont aucune preuve concrète, si ce n’est des décisions de justice que nous contestons », soutient-il.
Il affirme que la famille Gninantèninna aurait délibérément détruit les plantations et bâtiments sur le terrain, afin d’effacer toute trace d’occupation.
« Malgré tout, il reste encore des plants d’anacardiers. Nous avons des images, des vidéos. Et la Cour suprême a ordonné la suspension de toute action sur le terrain. Pourtant, ces gens ont commencé à vendre les parcelles à des tiers alors même que la procédure est toujours en cours », indique-t-il.
Une décision judiciaire contestée
Souleymane Keita s’interroge également sur la manière dont la justice a tranché : « Comment peut-on rendre un jugement domanial dans un village sans entendre les témoins vivants ? Tout le monde ici connaît l’histoire du village. Nous savons comment chaque famille est venue s’installer ».
« Dans tous les villages, celui qui réclame un héritage doit prouver l’occupation par lui ou ses ascendants. Pourquoi cette logique n’a-t-elle pas été appliquée dans notre cas ? », poursuit-il.
Il conclut, amer : « Nous sommes des cultivateurs, eux sont connus pour leurs activités dans la vente de terrains. Vous pouvez interroger le village sur leurs antécédents. En plein procès, ils ont déjà vendu presque tout le domaine litigieux. C’est révoltant ».
La version de la famille Gninantèninna : « La justice nous a donné raison »
De son côté, la famille Gninantèninna reste ferme. Pour Yakou Keita, un de ses membres, la légalité de leur position ne fait aucun doute . « Cela fait plus de cinq ans que nous sommes en procès. Et nous avons gagné à toutes les étapes : tribunal de Siguiri, cour d’appel, Cour suprême. Même lors de l’opposition des pièces, la justice a confirmé notre droit », affirme-t-il.
Il balaie d’un revers de main les arguments de la partie adverse : « Ils n’ont aucun document officiel. Qu’ils vous en montrent un seul. Nous, nous avons les décisions de justice ».
Constat d’un huissier : destructions confirmées
Un huissier de justice s’est récemment rendu sur le terrain. Il a constaté la destruction d’arbres fruitiers (manguiers et anacardiers) sur une surface d’environ 7 hectares, ainsi que la démolition de deux bâtiments et le retrait de bornes de délimitation.
Ce litige met en lumière un problème systémique : l’opposition entre droit coutumier et droit écrit, la faiblesse de l’administration foncière, l’absence d’un cadastre moderne, et la vulnérabilité des populations rurales face à la spéculation foncière.
Il souligne l’urgence de réformes en matière de gouvernance foncière, afin de protéger à la fois la légalité, les droits historiques, et la paix sociale.
Nous y reviendrons.
Balla Yombouno