Après l’Afrique du Sud, le Nigéria est la nouvelle cible africaine de Donald Trump. Samedi 1er novembre, le président américain, se faisant l’écho de la propagande de certains élus conservateurs, a ouvertement menacé les autorités nigérianes. Il les accuse de passivité face à un prétendu massacre de chrétiens par les groupes terroristes qui sévissent dans le pays depuis une quinzaine d’années. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la réaction d’Abuja n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Au lieu de dénoncer le dangereux amalgame entretenu par Donald Trump, le président Bola Tinubu et ses conseillers, visiblement plus préoccupés par la crainte d’un débarquement des GI’s que par les conséquences internes de ces propos, en sont réduits à solliciter une rencontre avec le locataire de la Maison-Blanche.
Dans ce bras de fer, tous les deux camps inspirent déception. D’abord, le président américain, qui semble manquer de recul, ne mesure sans doute pas les risques que ses déclarations font courir au Nigéria. Certes, le pays affronte depuis de longues années des violences djihadistes, notamment celles du groupe Boko Haram. Mais prétendre que ces attaques viseraient exclusivement les chrétiens relève d’une contre-vérité dangereuse. Aucune donnée crédible ne vient appuyer cette affirmation. En revanche, une telle déclaration, amplifiée par l’aura médiatique du président américain, risque d’attiser des tensions confessionnelles déjà sous-jacentes.
Si, à la fragilité structurelle de l’Etat nigérian face aux groupes terroristes, à l’immense défi du chômage des jeunes et aux frustrations résultant tout à la fois de la corruption endémique et de la répression des mouvements sociaux, devait s’ajouter un conflit ouvert entre chrétiens et musulmans, le pays sombrerait dans le chaos. Dans nos Nations encore en construction, jouer avec les sensibilités identitaires revient à allumer une mèche au-dessus d’un baril de poudre. Et, à l’évidence, Donald Trump ne s’en soucie guère. A moins que toutes ces accusations ne soient, en réalité, une forme de punition que l’administration américaine infligerait aux dirigeants nigérians pour avoir refusé d’accueillir les immigrés refoulés par les États-Unis.
Le plus inquiétant, cependant, est du côté d’Abuja. Les autorités nigérianes ne semblent pas prendre en compte tout le potentiel déstabilisateur des accusations américaines. Alors qu’il aurait fallu immédiatement réfuter ces allégations et rétablir les faits, à savoir que les victimes du terrorisme sont aussi bien chrétiennes que musulmanes, Bola Tinubu préfère annoncer qu’il “s’en expliquera” avec Donald Trump lors d’une future rencontre. Une attitude qui frise la soumission diplomatique.
On comprend que le président nigérian cherche à ménager les Etats-Unis, dont l’aide sécuritaire et économique demeure essentielle. Mais il n’est pas question de transiger sur l’unité nationale pour éviter de froisser Washington. A ce niveau, la prudence tourne à la faiblesse, et la diplomatie, à la capitulation. En ne défendant pas vigoureusement la vérité, Tinubu prend le risque de laisser s’enraciner une narration mensongère qui pourrait empoisonner durablement la cohésion nationale.
Finalement, cette affaire révèle deux problèmes : la persistance de l’arrogance d’un Donald Trump prompt à condamner sans comprendre, et la frilosité d’un pouvoir nigérian trop craintif pour répondre avec fermeté. Dans un contexte où les fractures identitaires n’attendent qu’une étincelle pour s’embraser, le Nigéria aurait pourtant besoin d’un leadership qui soit capable de garantir la défense du pays, juste en rétablissant la vérité.
Boubacar Sanso Barry


