L’événement que s’apprête à vivre le Cameroun ce lundi 27 octobre a comme un air de déjà-vu. Non pas seulement par la proclamation attendue des résultats de la présidentielle, mais aussi par la tension qui traverse le pays et le vent de contestation qui monte de toutes parts, perceptible à travers la marche pacifique organisée hier dans plusieurs villes. C’est, en effet, un climat semblable qui prévalait il y a sept ans, à la suite de la présidentielle du 7 octobre. A l’époque déjà, le Conseil constitutionnel s’apprêtait à publier les résultats dans une atmosphère électrique, marquée par les contestations du camp de Maurice Kamto, leader du MRC. Mais cette fois, la situation semble différente, car le camp du président sortant paraît plus ébranlé, presque déstabilisé. Comme si, après plus de quatre décennies de règne, le vieux Paul Biya avait été, pour la première fois, véritablement démythifié.
Soyons lucides : les chances que le Conseil constitutionnel déclare Issa Tchiroma Bakary, le candidat du Front national pour le salut du Cameroun (FNSC), vainqueur de la présidentielle du 12 octobre dernier, sont quasi nulles. Il est tout aussi improbable que les pressions populaires qu’il envisage d’exercer suffisent à faire plier le régime et la puissante machine électorale mise en place depuis des décennies par le camp présidentiel.
Cependant, l’opposition camerounaise, et particulièrement Issa Tchiroma Bakary, peut se féliciter du résultat politique et symbolique engrangé à l’occasion de ce scrutin. Car, au-delà des chiffres officiels, elle a réussi à bousculer l’ordre établi et à ébranler les certitudes d’un pouvoir qui se croyait inamovible. C’est peut-être là la plus grande victoire, celle qui s’inscrit dans la durée, au-delà du verdict immédiat des urnes.
En lieu et place de leur arrogance coutumière, les responsables du RDPC, le parti au pouvoir, affichent désormais une certaine retenue. Conscients de la fragilité nouvelle du régime, ils semblent enclins à la conciliation. La proposition de Paul Biya de nommer Issa Tchiroma Bakary au poste de Premier ministre s’inscrit dans cette logique d’apaisement. De même, sa promesse de procéder à une réforme du Code électoral traduit une reconnaissance implicite des limites du système actuel et de la nécessité de s’adapter à la nouvelle donne politique.
Cette évolution est perceptible jusque dans l’attitude des forces de sécurité. Hormis les quatre morts enregistrés hier à Douala, le pouvoir s’est gardé d’un recours excessif à la répression. Une prudence inhabituelle, révélatrice d’une fébrilité certaine.
Car la véritable secousse vient des urnes. Pour la première fois depuis longtemps, les Camerounais, longtemps résignés ou désabusés, ont retrouvé le goût de la mobilisation citoyenne. Ils ont voté massivement, surveillé les urnes et tenté de contenir la fraude. Ce sursaut civique a produit un choc au sommet de l’Etat : Paul Biya a dû, bon gré mal gré, regarder en face une réalité qu’il avait toujours refusé d’admettre, à savoir celle d’un peuple de plus en plus nombreux à ne plus vouloir de lui.
Et cette nouvelle dynamique, les Camerounais, dans leur ensemble, et non plus la seule opposition politique, doivent désormais s’atteler à la consolider. Cela implique de maintenir la pression en exigeant des réformes en profondeur du processus électoral. Ainsi, à défaut de pousser immédiatement le président à la retraite, il s’agira de l’amener à adopter une gouvernance plus consensuelle, et conséquemment plus bénéfique pour l’ensemble du pays. D’autant qu’à la faveur des prochaines législatives, l’opposition pourrait renforcer sa présence au Parlement et accroître son influence institutionnelle.
Certes, cette démarche graduelle peut sembler longue à certains membres de l’opposition, notamment les plus impatients ou les moins jeunes. Mais cette évolution progressive a le mérite d’éviter au pays de sombrer dans des convulsions sociopolitiques dont nul ne peut prédire l’issue.
Boubacar Sanso Barry


