Dans les rues de Dakar, le sujet est sur toutes les lèvres depuis plusieurs mois maintenant. L’aventure qatarienne de l’équipe nationale de football étant officiellement terminée, tous les regards sont à nouveau tournés vers le quartier du Plateau, résidence officielle du Président de la République : Macky Sall sera-t-il candidat ou pas à sa succession lors de l’élection prévue en février 2024 ?
Même si le principal intéressé continue d’entretenir le suspense, cette candidature apparait de plus en plus probable. A quasiment 13 mois de l’échéance, le (toujours) Président en exercice de l’Union Africaine, ancien édile de Fatick (à environ 146 km de Dakar), sa ville natale, a effectué récemment une tournée de 4 jours -dite économique- aux allures de pré-campagne électorale dans l’est du pays, à Tambacounda, capitale du Sénégal oriental. Que ce soit pour l’inauguration de la route Tambacounda-Kidira, du camp militaire de Goudiry, les promesses de construction d’un nouvel hôpital, d’une université, de plusieurs kilomètres de routes et de pistes rurales ou la tenue d’un conseil des ministres décentralisé, le Chef de l’Etat sénégalais se veut actif et compte bien demeurer le maitre des horloges jusqu’au bout. Au grand dam, notamment, des partis politiques d’opposition et d’une frange des membres de la mouvance au pouvoir, Benno Bokk Yakkar (BBY). Dans la rue, comme ce 30 décembre 2022, ou dans cette lettre ouverte publiée en octobre, certains acteurs de la société civile multiplient les appels au « respect de la Constitution » enjoignant Macky Sall à clarifier sa position tout en le mettant en garde face aux « conséquences tragiques d’un forcing » pour un éventuel 3e mandat. En cause, l’interprétation de l’article 27 de la Constitution de 2001 révisée en 2016. Pourquoi cet article suscite autant de réactions ? L’opposition sénégalaise use-t-elle de la bonne stratégie pour arriver au pouvoir ? Quelques éléments de réponses.
L’article de la discorde
Regardons de plus près ce fameux article 27 tel que libellé dans l’actuelle Constitution sénégalaise. Il stipule que : « La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Il faut se souvenir qu’avant sa révision, le Conseil Constitutionnel, saisi par Macky Sall lui-même, avait en quelque sorte balisé le chemin pour l’éventualité de ce 3e mandat.
En effet, dans son avis rendu en février 2016, la plus haute juridiction du pays, « garante du respect des principes et des valeurs sur lesquels reposent la Constitution », avait alors instruit de supprimer, dans la proposition soumise par Macky Sall, la disposition relative à la réduction de la durée du mandat présidentiel de 7 à 5 ans en ce qui concerne le mandat qui était en cours, « au motif qu’elle n’est conforme ni à l’esprit de la constitution, ni à la pratique constitutionnelle ». Ce qui, à la lecture des événements aujourd’hui, sous-entend que, des deux mandats effectués 2012-2019 (7 ans) et 2019-2024 (5 ans), seul le deuxième de 5 ans est effectivement comptabilisé (la loi n’étant pas rétroactive), et l’autorise de facto à être candidat à sa propre succession.
Plus récemment, lorsqu’au cours d’une interview, Aissata Tall Sall, Ministre des Affaires Etrangères, ancienne maire socialiste de Podor (ville du nord du Sénégal, située à environ 470 km de Dakar), affirme que « la question n’est ni juridique, ni politique, elle est strictement mathématique », dans les faits, elle n’a pas tout à fait tort. D’autant que ces arguments ont d’ores et déjà été éprouvés (dans des contextes différents certes) en Guinée, en Côte d’Ivoire…et même au Sénégal, il y a une dizaine d’années. En effet, il convient de rappeler que le Sénégal en est à sa quatrième constitution. Celle actuellement en vigueur, avant sa révision de 2016, avait initialement été adoptée par référendum en 2001 sous la présidence de Me Abdoulaye Wade. Le même qui, à l’issue de deux mandats de 7 et 5 ans (cela ne vous rappelle rien ?), briguera la magistrature suprême pour un troisième mandat en 2012 à l’âge de 85 ans face à un certain Macky Sall. Ce dernier, évincé de la présidence de l’Assemblée Nationale quelque temps auparavant, mais porté par une coalition composée de quasiment toute l’opposition d’alors, finira par réussir un tour de force spectaculaire en l’emportant au second tour face à son ancien mentor.
Un problème plus moral et éthique que juridique
Si, constitutionnellement, la probable candidature du Président Macky Sall semble difficile à attaquer, elle l’est davantage d’un point de vue moral et éthique. En effet, si cette candidature se confirmait au cours des prochains mois, celle-ci marquerait un revirement voire une sorte de reniement de la parole donnée de la part de l’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade.
D’abord, parce qu’en 2012, lors de la campagne électorale, Macky Sall a fondé une partie de sa légitimité sur la contestation de la candidature d’Abdoulaye Wade. Ce dernier, ancien opposant historique des Présidents Senghor et Diouf, avait lui aussi profité de l’adoption d’une nouvelle constitution en 2001 dans le but de « remettre les compteurs à zéro » et se représenter en 2012.
Enfin, et surtout, parce que tout au long de sa gouvernance, le natif de Fatick a constamment balayé d’un revers de la main cette éventualité. Morceaux choisis. En 2018, il disait que : « Le débat soulevé par les juristes est puéril et sans intérêt pour le développement du pays. (…) Même un analphabète, si tu lui fais une traduction du texte, il va le comprendre. Mais les intellectuels aiment nous compliquer la vie, se livrer à de grandes réflexions pour se mettre en valeur ».
Décembre 2018, intervenant toujours sur le même sujet, le Président Sall affirmait que : « C’est moi qui ai écrit la Constitution. Quand on a ramené le mandat de 7 à 5 ans, j’ai dit que le mandat est renouvelable une fois. J’y ai rajouté une clause qui stipule que nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs. Si je suis réélu, je fais un deuxième mandat de 5 ans. Cela fera 7 plus 5. Il faudra partir. C’est ça l’option fondamentale ».
Ces derniers mois, le discours s’est toutefois avéré beaucoup moins catégorique dans le camp du parti au pouvoir. Certains proches du Président, parmi lesquels Farba Ngom, député-maire des Agnams, proclamait récemment sans ambages, lors du discours de politique générale du Premier Ministre Amadou Ba, que : « Macky Sall reste et demeure notre candidat » tout en invitant ceux qui, parmi les députés présents, étaient prêts à l’investir à se lever. Comme signal fort de la part de la mouvance présidentielle, on peut difficilement faire plus.
Une opposition en quête de stratégie efficace
Étant donné qu’il sera vraisemblablement difficile de remettre en cause la probable candidature du Président sortant sur un plan purement juridique, quelle marge de manœuvre reste-t-il désormais à l’opposition ? A cette question, la coalition Yewwi Askan Wi (YAW), emmenée par Ousmane Sonko, arrivé 3e lors du dernier scrutin présidentiel, et Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, semble avoir choisi la ligne la plus dure à la fois sur le terrain, mais aussi à travers les nombreux médias privés du pays. Il est vrai que le thème du 3e mandat est un véritable catalyseur dans l’opinion. Il électrise et mobilise les foules de façon presque irrationnelle.
L’une des conséquences possibles de discours et positions radicaux de la part de l’opposition pourrait être la démobilisation d’une frange de l’électorat plus modérée et peu encline à se rendre aux urnes dans un climat délétère. L’abstention qui en découlerait profiterait sans aucun doute à BBY. Pour YAW, cette étiquette d’acteurs politiques violents, qui semble désormais coller à la peau de ses membres, est de plus en plus difficile à défaire à mesure que les affaires judiciaires s’amoncellent. La dernière en date étant l’agression d’une députée BBY dans l’enceinte de l’Assemblée Nationale au début du mois de décembre dernier. Elle fait suite aux scènes surréalistes observées deux mois plus tôt, dans la même bâtisse, lors de l’élection du Président de ladite Assemblée.
Aussi, une ligne dure pourrait avoir d’autres effets insoupçonnés dont les conséquences pourraient plonger le pays dans une instabilité profonde. Personne ne peut être formel sur la durée (encore moins la forme) d’une situation qui pourrait mettre à rude épreuve les institutions, dans une sous-région où les risques sécuritaires et les transitions militaires inquiètent. Pour un pays qui a vécu trois alternances politiques pacifiques depuis son indépendance en 1960, briser l’ordre constitutionnel serait un recul démocratique et un véritable échec. Même si on en est loin, il est difficile de ne pas y penser. Les soubresauts vécus dans la sous-région ouest-africaine nous démontrent qu’aucun pays n’en est finalement à l’abri.
Pour ne pas en arriver à de tels extrêmes, l’opposition sénégalaise a tout intérêt à davantage mettre la pression pour l’organisation d’une élection sincère, crédible et transparente en s’appuyant sur une offre dont la promesse tournerait autour des nombreux défis sociaux, économiques et environnementaux quotidiens qui assaillent les populations. Elle doit pour cela s’inspirer du meilleur exemple qui s’offre à elle, celui de « Macky 2012 ». Ni plus, ni moins. Malheureusement pour YAW, au regard des résultats des scrutins municipal et législatif, de son bilan et de son expérience, Macky Sall semble disposer de quelques coups d’avance. Mais pour combien de temps encore ?
Souleymane Camara