Commençons par rendre un vibrant hommage aux pères fondateurs de cette organisation. Ils ont eu raison. La célébration de la création de ladite institution est l’occasion d’évaluer la mise en œuvre des objectifs, de mesurer où nous en sommes dans la réalité, des rêves des anciens.
En dépit de 60 ans d’existence, cette organisation reste sous-financée par rapport à d’autres organisations de la même envergure. Sur le plan sécuritaire, le continent est devenu de plus en plus le théâtre de plusieurs conflits endogènes ou exogènes, sans que l’OUA à l’UA soit l’acteur déterminant d’une fin de crise.
Le terrorisme, les coups d’États, les velléités anticonstitutionnelles ont de plus en plus pris place. On observe un recul démocratique avec le retour des militaires issus des régimes putschistes, qui ne savent pas trouver les voie d’un développement humain et économique : ce n’est tout simplement pas leur métier, ni leur culture…
Les transitions militaires répétées sont comme un retour à la case départ pour des populations plus éclairées aujourd’hui et qui veulent avancer : développement, démocratie et alternance sont les attendus.
Le constat actuel est un fiasco, l’organisation ne parvient pas réellement à faire entendre sa voix et surtout à régler ou prévenir les conflits.
« L’Union africaine peut-elle être une puissance diplomatique sans une capacité d’influence sur ses États membres et sur ses partenaires internationaux ? Incontestablement, la réponse est négative … / … Premièrement, l’Union africaine souffre d’une compétence supranationale très restreinte. Deuxièmement, l’Union africaine fait face à une dépendance financière qui ne lui permet pas de s’émanciper des calculs de bas étage de nombre de ses États membres et de négocier équitablement avec ses partenaires internationaux … / … au final , l’Union africaine ne dispose pas des deux principaux déterminants structurels de la puissance de négociation : la sécurité et le marché.
Affirmait déjà en 2017, Samuel Nguembock, Chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), membre de Thinking Africa ».
Les États ne s’acquittent pas correctement de leurs contributions, au même moment, l’organisation revendique ardemment contre le monde occidental la non-ingérence dans ses affaires intérieures et sa souveraineté, mais elle reste incapable de s’autogérer financièrement et d’engager les vastes chantiers qu’elle souhaite mettre en œuvre.
Le budget de l’UE est de 1 211 milliards d’euros pour la période 2021-2027 pour seulement 27 États et l’UA disposerait en théorie de seulement 654,8 millions de dollars pour 55 États. C’est 260 fois moins que celui de l’UE. Comparaison n’est pas raison, mais quand même ….
Je pense qu’il faut réajuster l’organisation. Les idées de départ de l’OUA en mai 1963 étaient de promouvoir et défendre l’indépendance totale de tous les pays africains, c’est-à-dire d’éradiquer le colonialisme et l’apartheid.
Certes des résultats ont été engrangés sur ces points. Les doit-on qu’à l’OUA, devenue UA ? Pas seulement.
En juillet 2022 pour l’UA, l’objectif qu’elle s’était fixé était d’accroître l’intégration et la coopération pour en faire un vecteur de croissance économique.
Il faut reconnaître la dynamique et les efforts qui ont été fournis jusqu’à maintenant, tout n’est pas sombre. Reste qu’aujourd’hui l’UA est une organisation qui n’a pas de poids sur la scène internationale, tout le continent est ramené à un « bilatéralisme post colonial » : France Afrique, Chine Afrique, Japon Afrique, Russie Afrique, Turquie-Afrique.
L’objectif initial d’intégrer les pays africains sur le plan économique, politique, c’est-à-dire créer une seule grande région identifiable au niveau mondial reste le rêve de tous les panafricanistes. Vous me direz que les fédéralistes européens sont presque dans la même désespérance : des réussites d’intégration certes, mais que de confusion dans le dialogue mondial et les négociations économiques, que de divergences étalées ! Il faut une guerre, celle de l’Ukraine, pour remettre à peu près tous les 27 dans le même rang.
Le panafricanisme est défini comme un mouvement et une idéologie politique qui promeut l’indépendance totale du continent africain et encourage la pratique de la solidarité entre les Africains pour échanger des réflexions sur les problèmes qui assaillent l’Afrique.
L’objectif du Panafricanisme est de « renforcer l’unité et la solidarité des États africains », de « défendre la souveraineté des États », d’éliminer « sous toutes ses formes » le colonialisme et enfin de « favoriser la coopération internationale ».
À l’époque de la guerre froide, il y avait des clans, notamment les libéraux et les socialistes, Kwame Nkrumah ancien président du GHANA, fut considéré comme un ennemi des USA : le panafricanisme en tant qu’idéologie était né.
Tous les présidents qui étaient qualifiés d’ennemi de la France ou des USA étaient des « panafricanistes ». Définition bien négative.
Aujourd’hui un chef d’État africain qui s’accroche au pouvoir au-delà de ses mandats constitutionnels, peut-il raisonnablement se dire panafricain ? Quand il n’est parfois que la marionnette d’une puissance étrangère au continent ? Une forme de contresens !
Qui sont d’authentiques panafricains : SÉKOU TOURÉ, PATRICE LUMUMBA, KEMI SEBA, MARCUS GARVEY, THOMAS SANKARA ? Oui.
De quoi nous ont-ils parlé ? d’écologie, d’égalité, de développement, de solidarité entre les peuples d’Afrique ? Oui.
Cela bien avant la reprise de ces thèmes par des dirigeants actuels occidentaux. Ces valeurs africaines les « nouveaux empires » (Russie, Chine) les ignorent, tant ils sont âpres au gain et friands de nos ressources.
Le panafricanisme ne doit pas se limiter aux discours. Il doit construire les conditions politiques et financières de l’Union. Comme cela a été le cas en Europe, lors de la création de l’Euro et de la libre circulation.
En occident, on ne parle pas de renaissance ni d’idéologie. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale en Europe, la seule idéologie caractérisée a été l’idéologie communiste. Certains diront que le libéralisme est une idéologie. À présent, le libéralisme orphelin des autres idéologies, n’est plus une idéologie, c’est devenue une norme. Émergent dangereusement ce qu’on appelle les démocraties illibérales (Hongrie, Turquie), dont il faudra se préserver en Afrique.
Si on souhaite continuer à parler de panafricanisme, on doit créer des institutions fortes et accepter l’alternance au pouvoir. Ou alors le panafricanisme n’est plus d’actualité. Nous voulons des hommes et des femmes capables de sortir le continent du sous-développement, tout simplement.
Depuis sa création, l’UA a du mal à résoudre les problèmes qui assaillent le continent africain, l’UA est confrontée aux problèmes d’intégration économique et politique.
La bonne gouvernance manque en Afrique. Elle suppose de gouverner de façon cohérente, transparente avec des objectifs précis et des outils de gestion efficaces .
Comment ne pas voir que l’ordre mondial aujourd’hui est en pleine mutation ? Quelle place peut ou doit occuper le continent africain dans cet ordre un peu « en péril » ?
L’Afrique est le continent d’avenir, fournisseur de matière première à vil prix. Il faut changer de paradigme et s’imposer, se tourner vers la technologie et la transformation de nos richesses sur place ; il faut garder la maîtrise de notre sol.
Pour les réalistes, la paix c’est simplement de la stabilité.
Pour les constructivistes, on peut changer notre monde en changeant les communautés de valeur, les idées, au-delà de notre vieille représentation du monde.
Précisons les choses :
Les réalistes considèrent que l’équilibre se fait autour de pôles de puissance et de sécurité. Peu importent les valeurs et les peuples, seuls la force de leurs représentants compte.
Les constructivistes vivent et souhaitent un monde plus complexe : chaque État, « actif et constructif » créent et transforment le monde selon leur propre volonté et par l’échange. Ce n’est pas nécessairement les grandes puissances : USA, CHINE, EUROPE qui ont les clés. D’autres acteurs (de petites puissances!) interagissent et finissent par compter s’ils se mettent ensemble.
Sommes-nous les enfants d’une nouvelle dépendance ? Quand il y a un problème de gouvernance en Afrique, la CEDEAO et l’Union africaine tentent d’agir. Bien vite ce qu’on appelle « la communauté internationale » (celle des « réalistes »! États-Unis, Russie, Union européenne, plus rarement la Chine) s’invitent.
Par contre quand ce même problème se passe ailleurs (l’Ukraine, les Balkans, l’Asie du sud-est), les mêmes « réalistes » oublient de convier l’Afrique pour qu’elle apporte sa contribution … Dommage.
Nos dirigeants devraient être plus éclairés et responsables. D’abord pour résoudre nos problèmes, par nous-mêmes. Ensuite pour témoigner d’un modèle africain qui a son mot à dire.
Le monde d’aujourd’hui est fragmenté, en mutation avec son lot de conflits. L’Afrique attrape la queue dans la mondialisation.
Pour l’UA, l’intégration politique doit s’assumer plus fortement, l’intégration économique suivra. Ne soyons pas timides, comme l’ont été les européens en faisant les chose à l’envers : une intégration économique réussie à petits pas, qui ne fait que souligner aujourd’hui l’absence de personnalité politique et de gouvernance audible au niveau mondial. Pour permettre à l’UA de réussir dans sa mission, les dirigeants africains doivent améliorer leur gouvernance politique, avec la participation de leur société civile et l’expertise de leurs ONG.
C’est au final reprendre à notre compte les fondamentaux énoncés en 1989 par la Banque mondiale :
Des aides conditionnées par le principe de Démocratie et de bonne gouvernance. Un résultat évalué sur critères économique, social et environnemental. Certes avec une grosse dose de libéralisme, pour des États priés de ne plus interférer dans le jeu économique.
Nous étions organisés depuis belle lurette : l’empire du Ghana, du Mali, Shanghai et le Fouta Théocratique du Fouta djallon ne sont que des exemples palpables de bonne gouvernance.
Nous avons l’une des plus anciennes Charte du monde dans l’empire du Mali la charte de Kouroukan Fouga. Pourquoi peine -t-on à la mettre à jour pour gérer notre développement ?
On doit changer les mentalités, donner de la force à nos institutions. Ouvrir les frontières intérieures dans le continent, aller au passeport identique pour permettre la libre circulation des personnes, des biens et services.
L’avenir se jouera en Afrique dans les décennies à venir.
Amadou BAH, diplôme d’Institut d’Études Politiques de Grenoble