A Dakar et dans les autres villes sénégalaises, les traces illustrant la violence des affrontements de la semaine dernière sont encore visibles partout. Les ruines des boutiques et autres magasins attaqués et vandalisés attestent éloquemment de la furie avec laquelle les manifestants ont sévi. Sur la même lancée, la fermeture de l’Université Cheick Anta Diop de Dakar est également symptomatique de l’ampleur que la crise a prise, suite à la condamnation d’Ousmane Sonko. La colère des partisans du leader du Pastef était telle qu’en dépit de l’accalmie que l’on observe depuis dimanche dernier, les activités économiques demeurent toujours au ralenti. Redoutant de revivre les mêmes scènes de guérilla qui les ont traumatisés, les citoyens se veulent à la fois prudents et prévenants. On ne veut prendre aucun risque. Parce que tout le monde est conscient que le calme qui prévaut n’est pas synonyme de paix durable. En réalité, on en est qu’au début d’une bataille qui s’annonce à la fois âpre et longue. A moins que les bons offices ne réussissent à désamorcer la bombe, pendant qu’il est encore temps. Mais justement quelles sont les voies de sortie de crise qui s’offrent encore au Sénégal, en proie à ces tensions périlleuses ?
Un flou artistique
Il y a un point autour duquel tous les observateurs s’accordent à propos de la crise sénégalaise : l’incertitude que le président Macky Sall entretient autour de sa troisième candidature. En réalité, l’on ne sait pas ce qui le pousse à garder le mutisme sur ce sujet de première importante, depuis maintenant des années. Mais il est aujourd’hui admis que cette absence de clarification est un facteur essentiel du déficit de confiance entre le président et ses compatriotes. D’autant que ce silence est perçu comme une volonté intime de demeurer au pouvoir au-delà de la présidentielle de février 2024. Or, cela, les Sénégalais n’entendent pas le laisser faire. Ils ne l’ont pas admis pour Abdoulaye Wade, ils ne comptent pas le permettre pour Macky Sall. Surtout que dans le cas de ce dernier, une tentative de s’accrocher au pouvoir passerait à la fois pour de la défiance et de la duperie. Défiance, parce qu’en raison de ce qui s’est passé en 2012, il devait d’avance savoir que les Sénégalais n’aimeraient pas sa manœuvre. Il n’avait donc pas à tenter le diable. Duperie ensuite, parce qu’il s’était publiquement et solennellement engagé à ne pas briguer un troisième mandat. Conséquence, il n’est plus digne de confiance. On peut donc estimer que si le président sénégalais venait à annoncer qu’il ne briguerait pas ce fameux troisième mandat, il désamorcerait en grande partie la crise. Certes, il l’aura fait plutôt tardivement, mais il priverait ainsi beaucoup de ceux qui battent le pavé de leur légitimité. Les faiseurs de paix du Sénégal et du reste du monde devraient donc le convaincre d’emprunter une telle voie. Il en va de la paix et de la quiétude au Sénégal et du maigre espoir qui reste à l’Afrique de l’ouest.
Ousmane Sonko, éligible ou pas ?
Ceci étant, la crise dans son entièreté ne serait pas résolue pour autant. Il resterait toujours l’autre nœud gordien qu’est l’éligibilité ou non d’Ousmane Sonko. En effet, avec la condamnation à 2 ans qui lui a été infligée, pour « corruption de la jeunesse », il ne devrait pas logiquement être autorisé à prendre part à la présidentielle prévue dans 9 mois. Mais cette perspective, ses partisans ne voudront pas l’admettre. Or, si l’on ne veut pas fragiliser les institutions et poser un précédent fâcheux, on ne peut faire fi de la décision de justice qui a été prononcée. Que celle-ci soit perçue comme étant juste ou non, par ailleurs. Autant dire qu’à ce niveau, la question Sonko passe pour un choix cornélien. On ne peut ni ignorer, ni appliquer la sentence qui a été prononcée. Bien sûr, on peut envisager un autre procès en appel qui invaliderait la décision de justice. Mais ce second verdict passera davantage pour une décision dictée par les impératifs politiques. Autant dire que la justice dans son ensemble en sortira affaiblie. Il restera alors qu’à se résoudre à tirer les conséquences de la condamnation du leader du Pastef. Autrement, le priver de la participation à l’élection présidentielle du 24 février 2024. Bien sûr, des grabuges, il va y en avoir. Ses partisans voudront mettre le pays à feu et à sang. Mais ils seront plus faciles à maîtriser si le prétexte du troisième mandat ne peut plus leur servir de facteur de mobilisation. Parce qu’il importe de le faire remarquer justement. L’ascension fulgurante qu’Ousmane Sonko a connue ces dernières, il la doit à ce flou artistique que le président sénégalais continue d’entretenir pour des raisons qu’il est le seul à connaître. Karim Wade et Khalifa Sall notamment ayant été mis hors-jeu, le jeune leader au discours radical, a profité du vide ainsi créé. En panne de leader pour cristalliser leur colère et leur ressentiment contre le pouvoir de Macky Sall, la jeunesse sénégalaise a adoubé Ousmane Sonko par défaut. Elle a dû se dire que c’est le dernier qu’il lui reste et qu’il faut le protéger à tout prix. En annonçant qu’il ne sera pas candidat à la prochaine présidentielle, le numéro 1 sénégalais pourrait aussi dévoiler cette part de supercherie que symbolise Ousmane Sonko. C’est dire donc qu’il a toutes les cartes en main pour mettre fin à ces sombres perspectives que l’on entrevoit pour le Sénégal.
Boubacar Sanso Barry