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Les mines, le contenu local ou la face cachée d’une double pathologie de l’Etat/Nation.

Le « contenu local » est un des piliers les plus cités par les parties prenantes comme outil de contribution du secteur minier au développement économique. Il recouvre les dimensions économique et sociale de la RSE, englobant des mesures et des stratégies visant à intégrer l’activité minière à l’économie nationale. Ce concept est supposé participer au renforcement des compétences des ressources humaines, à la promotion de l’emploi, au transfert de technologies, et à l’utilisation des biens et des services locaux. Ce positionnement du secteur minier comme instrument de développement national a été pensé, très tôt, à la fin du régime colonial lors de la création du projet d’industrialisation de Fria en Guinée française. Les pouvoirs publics français ont imaginé, à l’époque, une structure d’aménagement du territoire, la MARG, qui allait servir de pont entre l’investissement minier et le développement des potentialités du territoire (Larrue, 1997).

       Paul Masson, un administrateur des colonies, souligne dans un document d’archives datant de 1956 « la nécessité d’accompagner la réussite technique (de ce projet) d’une réussite humaine et d’associer les élus et élites du pays à notre travail de recherche et de planification et prouver à la population par des réalisations simples, multiples et palpables de l’aménagement rural que cette affaire n’est pas à sens unique ».  Il ressort de ces lignes les grands axes de ce qui sera, un demi-siècle plus tard, les éléments constitutifs du concept de contenu local, à savoir, la formation des ressources humaines, l’emploi et la sous-traitance locale. L’expérience de Fria a surtout été marquée par l’inscription nationale d’un projet industriel, traduite sur le terrain par la création, suivie d’une distribution des centres de recrutement dans les grandes villes du pays (N’zérékoré, Kankan, Kissidougou, Guéckédou, Beyla). L’opération avait le double avantage de pouvoir recruter sur toute l’étendue du territoire national et dans toutes les communautés.  La ville de Fria puisera dans ce trésor multiculturel pour bâtir sa réputation de ville métisse qui, malheureusement, connaitra dans les années 1990 des mouvements sociaux réclamant une « autochtonisation » des postes de responsabilité au sein de l’usine.

   Le projet CBG brassera sur cette expérience d’intégration réussie de Fria pour développer, de manière anticipatrice, une expérience de contenu local dont les survivances, l’ENAM et la « guinéisation » des postes servent encore de référence dans la formation professionnelle en Guinée. L’hybridation culturelle réussie des villes de Kamsar et de Sangaredi résulte, par ailleurs, de cette logique nationale en matière de recrutement, de formation et de répartition des revenus, au cœur de toute la belle trame historique de la CBG. L’émergence des mouvements d’appropriation « autochtonisée » des postes de responsabilité dans les entreprises minières dans plusieurs régions minières semble désormais reprise par des voix, dans le Bagataye, jusque-là réputées les plus ouvertes à l’intégration nationale des projets miniers (Sarro, 2023).

   La conceptualisation du contenu local mise en avant par le code minier de 2011 comme transformateur du secteur minier en instrument de développement s’est conjointement traduite par un triple glissement de sens dont les conséquences sont et resteront encore difficiles à saisir. Ce glissement sémantique s’est, d’abord, opéré par une sorte de permutation spatiale du contenu local par le truchement de la traduction terminologique du « local content », passant ainsi du territoire national comme espace d’inscription des questions associées au contenu local aux territoires locaux comme espace de réappropriation des maigres retombées de l’exploitation minière. Autrement, si d’un point de vue juridique, en Australie, le local dans le secteur minier est associé aux provinces et aux territoires profonds de ce vaste contient-État, en Guinée le local, selon les dispositions de l’article 108, renvoie au « Guinéen » et au « territoire national ». Les premières expériences d’exploitation minière de la Guinée (Fria, CBG, AREDOR) se sont relativement inscrites, du moins en théorie, sur cette logique nationale de l’appropriation de la rente minière (recrutement, formation, redistribution de la rente).

   La résurgence de la question de l’autochtonie comme conséquence d’une déconstruction politique et sociale du concept de contenu local apparait, en réalité, comme la traduction d’un échec de notre modèle l’État-Nation tel qu’hérité des décombres du système colonial et régulièrement raboté par les différents régimes, à coups d’idéologies aussi bien mystificatrices du chef qu’écrasantes de toute forme d’identités singulières. Le mythe d’une nation guinéenne homogène et aux intérêts communs s’évapore irrésistiblement, au fil du temps, face à la précarité sociale et économique dans les zones minières. Il est désormais d’une grande banalité dans les zones minières qu’un Guinéen désigne un autre guinéen « d’étranger » lorsqu’un maigre emploi s’offre en jeu. Ce discours autochtonisé est également à lire comme une forme de contestation de la stratégie d’absence sélective de l’État, longtemps promue dans les zones d’exploitation minière. Ce processus de désengagement de l’État fait suite à l’affaiblissement de ses capacités de réponse sociale consécutif aux programmes d’ajustement structurel entamés à partir des années 1990 sous l’impulsion des institutions financières internationales.

 L’absence prolongée de l’État en matière de prestation de services sociaux de base et de déploiement d’une économie alternative a contraint les entreprises minières à réinvestir les responsabilités régaliennes de l’État, ouvrant ainsi la voie à la délégitimation progressive des institutions publiques et des modèles théoriques qui les fondent (État, Nation).  La multiplication des mouvements de contestation dans les zones minières est davantage à lire comme la double traduction de la faillite de l’État et de la Nation dans ses obligations d’offrir des réponses aux demandes sociales des communautés et dans son pouvoir de convergence des aspirations particulières vers un idéal commun. La déconstruction politique et sociale du concept de contenu local puise son registre argumentaire dans ce terreau de la double décomposition à la base de l’État et de la Nation, notamment dans les zones minières. Le traitement de cette double pathologie sociale et politique passe nécessairement par une redéfinition et le redéploiement de politiques publiques, sociales et économiques, co-construites.

BARRY Oumar Totiya, Doctorant en Sciences politiques à l’Université de Lyon, chercheur sur les industries extractives. 

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