Avec la tenue, depuis ce mardi 22 octobre, du 15ème sommet des BRICS, à Kazan, en Russie, c’est Vladmir Poutine qui doit particulièrement se réjouir. En effet, même si la réunion était prévue d’avance, le fait qu’elle coïncide avec cette période particulière marquée par des efforts d’isolement de la Russie par les Occidentaux, est sans doute une bénédiction pour le Kremlin. En accueillant pas moins de 20 de ses homologues sur un total de près d’une quarantaine de pays représentés, le président russe n’aura même pas à clamer que son ostracisme par les Etats-Unis et l’Europe est un échec. Et en guise de bonus, la Russie dont les désirs d’expansion sur les terres africaines sont désormais clairement assumés aura à portée de main des représentants non des moindres du continent noir : l’Afrique du sud et les nouveaux membres que sont l’Ethiopie et l’Egypte. En dehors de la vitrine et de l’influence que ce sommet offrira donc à Vladmir Poutine, c’est à se demander si les BRICS ne sont pas quelque peu utopistes en voulant servir d’alternative à l’insolente hégémonie des Occidentaux. Tant à l’intérieur du bloc, la compétition risque de l’emporter sur la coopération entre certains membres.
Alternative à la condescendance du G7
La pertinence de la création des BRICS est d’une évidence telle qu’on n’a nul besoin de disserter dessus. Ployant sous le poids d’une gouvernance occidentale qui manque cruellement de cohérence, le monde a plus que jamais besoin d’un tel bloc pour rééquilibrer les choses. Et il est vrai qu’avec le poids notamment économique qu’ont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du sud auxquels se sont joints de nombreux autres pays, un tel espoir n’avait rien de chimérique. Réunissant près de la moitié de la population du globe et concentrant jusqu’à 30 % du PIB mondial et 50 % des réserves mondiales des hydrocarbures, ce bloc aurait pu nous offrir l’alternative à l’arrogance et à la condescendance que nous fait subir le bloc des richissimes du G7. Mais si l’on s’amusait aujourd’hui à faire le bilan, l’objectivité nous imposerait de reconnaître qu’il y a encore du chemin à faire pour espérer voir les BRICS incarner un contrepoids à la toute-puissante occidentale.
Méfiance et différences
Certes, les BRICS ont réussi à créer une banque censée concurrencer le FMI et la Banque mondiale. Mais pour le moment, cette concurrence demeure davantage de l’ordre des vœux. Quant à la mise en place d’un système de paiement qui soit indépendant du système SWIFT, les intentions sont annoncées. Mais les pays qui se demandent encore s’il faut franchir le pas sont si nombreux qu’on ne sait pas si cette alternative verra le jour. Il en découle d’ailleurs qu’au-delà des chaudes accolades davantage destinées aux objectifs des photographes, il y a une certaine méfiance et même des différences entre les membres. C’est le cas entre l’Inde et la Chine entre lesquelles les tensions sont notoires. II n’est pas non plus évident que le Brésil, l’Inde et l’Afrique du sud qui sont plutôt des démocraties se sentent particulièrement à l’aise dans ce club fourre-tout. C’est d’ailleurs ce pour quoi la question de l’élargissement du bloc ne fait pas l’unanimité.
Un tremplin pour les Russes
Finalement, la seule chose dont est certain, c’est que les BRICS, en se réunissant durant ces 72 heures à Kazan, servent ne serait-ce que de manière circonstancielle les intérêts stratégiques de la Russie. C’est peut-être un fait du hasard. Mais le fait est que cette rencontre apporte une bouffée d’oxygène à Vladmir Poutine, que les médias occidentaux disent pourtant isolés. Comment en effet la thèse de l’isolement peut-elle prospérer à propos d’un dirigeant qui, à la fin de ces trois jours, aura rencontré en bilatéral une vingtaine de ses homologues du monde dont Xi Jinping, Narendra Modi, Cyril Ramphosa ou encore Abdel Fattah al-Sissi ? Mais pour le président russe, ce sommet offre mieux que la rupture du prétendu confinement. De fait, les Russes voudront en faire un tremplin pour renforcer du moins symboliquement leur influence et leur statut d’acteur majeur du monde. L’espoir étant de capitaliser une telle image pour attirer davantage de monde dans leur giron.
Parrain de substitution
L’appât pourrait particulièrement fonctionner en Afrique. En effet, chez nous, on est peut-être un peu plus vulnérable à ce genre de séduction. Mécontents du rapport que nous avons jusqu’ici entretenu avec les Occidentaux, nous sommes en quête d’une sorte de parrain de substitution. Et à nos yeux, l’urgence est telle qu’on ne se donne pas toujours le temps d’une réflexion lucide. A croire qu’on est incapables d’exister par et pour nous-mêmes. Et bien sûr, réengagée dans une nouvelle bataille avec le camp occidental, la Russie ne peut envisager une telle proie aussi facile, que comme du pain béni.
Boubacar Sanso Barry