Au Mali, il ne faut pas se fier aux apparences. Certes, les autorités s’efforcent de démontrer qu’elles ont encore la situation du pays bien en main et que tout est sous contrôle. Mais il n’en est rien. Les choses sont en train de leur échapper. La décision de suspension des activités politiques, rendue publique hier mercredi, n’en est que l’illustration. Cette décision est l’expression même de la fébrilité qui gagne les dirigeants. Car, après cinq ans au pouvoir, les discours souverainistes et le populisme creux ne peuvent guère masquer l’échec patent dans la gestion du pays. Les manœuvres manipulatrices, elles non plus, ne prospèrent plus aux yeux d’une population qui commence à réaliser qu’elle a été une nouvelle fois bernée.
Dans un tel contexte, les agissements actuels du général Assimi Goïta et de ses camarades rappellent étrangement ceux d’un voleur pris sur le fait. Irréfléchis et désespérés, les actes qu’ils posent risquent de les enfoncer davantage.
Peu importe que l’on soit civil ou militaire : le mensonge, la duperie, la ruse et la force brutale n’ont jamais, à eux seuls, produit de résultats probants en matière de gouvernance. Bien sûr, comme cela s’est passé dans nos pays au début, les populations, sous l’effet d’une émotion circonstancielle, ont toujours eu tendance à prêter, de bonne foi, l’oreille aux nouvelles promesses. Ce faisant, elles se rendent souvent complices de leur propre asservissement. Mais une fois qu’elles prennent conscience de la supercherie et de la trahison, elles sanctionnent, comme il se doit, ceux qui les ont trompées.
Cet incroyable retour de bâton, les autorités maliennes pourraient bien l’apprendre à leurs dépens. Car les mesures répressives qu’elles tentent d’ériger face à la menace d’une révolte populaire n’y changeront rien. Assimi Goïta n’inspire plus confiance. En cinq ans, lui, ses camarades et, avec eux, les mercenaires russes n’ont pas réussi à restaurer la sécurité dans le pays. Mais au lieu de tirer les conséquences logiques de cet échec, voilà qu’ils voudraient plutôt s’en prévaloir pour confisquer le pouvoir.
En effet, c’est au nom de l’insécurité, qui régnerait toujours dans des régions entières du pays, que la junte refuse désormais d’organiser les élections. Mais on voudrait qu’Assimi Goïta soit proclamé président de la République, avec la possibilité de rester illégalement à la tête du pays pendant un minimum de dix ans supplémentaires. Toutefois, comme les partis politiques et les organisations de la société civile qui comptent au Mali n’entendent pas laisser prospérer cette manœuvre, voilà que ceux-ci sont désormais traités en ennemis à abattre. Seulement, cette fois, les populations maliennes, déçues et désenchantées, ne demeureront pas passives. Quitte à ce que les partis politiques et le mouvement citoyen les organisent, elles joueront leur partition. Car, à leurs yeux, les militaires ont eux-mêmes rompu le contrat moral qui les liait.
En effet, si les Maliens avaient accueilli, applaudi et soutenu les colonels en 2020 et en 2021, ce n’était guère pour que ceux-ci, quelques années plus tard, se révèlent pires que leurs prédécesseurs. Ce n’était surtout pas pour qu’à leur tour, les militaires marchent sur la constitution et les lois de la république. Maintenant qu’Assimi Goïta n’est en rien différent de feu IBK qu’il a déposé il y a cinq ans, il ne peut plus compter sur la compréhension et la confiance des Maliens. Bien sûr, on ne s’attend pas à ce que le président de la Transition soit réceptif aux signes avant-coureurs de la crise. Mais son obstination et son entêtement ne pourraient que précipiter les choses.
Boubacar Sanso Barry