La déclaration de l’artiste Pathé Moloko, affirmant « préférer le général Mamadi Doumbouya à [sa] propre famille, à [ses] parents », a provoqué une vague de réactions aussi vives que légitimes. Dans un pays où les repères culturels et les valeurs familiales restent profondément ancrés, une telle affirmation ne pouvait que heurter. Et elle l’a fait.
Ce qui choque, ce n’est pas tant le fait qu’un artiste affiche son soutien à une autorité. C’est son droit. Ce qui choque, c’est la manière. Une manière qui frôle l’absurde et flirte avec la servilité. En Guinée, comme ailleurs, la liberté d’opinion ne signifie pas la négation de soi. Et soutenir un dirigeant ne doit jamais conduire à renier ce que l’on est, d’où l’on vient, ni ceux qui nous ont donné la vie.
Ce genre de déclaration, loin d’être anodine, illustre une dérive préoccupante : celle d’une parole publique qui, à force de rechercher la faveur du pouvoir, finit par perdre tout sens. Dans l’espace politique guinéen, la frontière entre engagement sincère et opportunisme assumé semble de plus en plus floue. L’outrance devient stratégie. L’exagération, une arme de positionnement.
Mais le cas Pathé Moloko n’est que la partie visible d’un phénomène plus large : la normalisation d’un discours qui fait de la flatterie une monnaie d’échange. Une façon d’acheter de la visibilité, des privilèges, voire une place dans le système. C’est là que réside le vrai danger. Car lorsque la quête de reconnaissance passe par l’abandon de la dignité, c’est toute la société qui vacille.
Il est temps de s’interroger. Qu’avons-nous fait de notre rapport à l’autorité pour qu’un individu puisse croire qu’il est acceptable, voire utile, de renier ses parents pour plaire au pouvoir ? Que tolérons-nous, collectivement, pour que ces propos soient tenus sans qu’aucune ligne rouge ne soit tracée ? Les autorités, elles aussi, ont une responsabilité. Encourager le soutien populaire, oui. Mais à condition qu’il soit fondé sur la conviction, non sur la soumission. Car une gouvernance qui s’entoure de voix dociles, incapables de discernement, court toujours le risque de se couper de la réalité.
Il faut rappeler qu’il est possible et même nécessaire de soutenir sans se rabaisser. De croire en un projet politique sans faire de la démagogie, une règle. Le respect du pouvoir ne doit pas effacer le respect de soi.
Il ne s’agit pas ici de pointer un individu du doigt, mais d’alerter sur une tendance. Et de rappeler, à chacun, que la dignité n’est pas une option. Elle est le socle de toute société libre. Elle est ce qui reste, quand tout le reste vacille.
Boubacar Sano Barry