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Projet de Constitution : de grandes promesses… à concrétiser

Le jeudi 26 juin 2025, dans l’enceinte du palais Mohamed V, le président de la Transition, Mamadi Doumbouya, a officiellement reçu le projet de nouvelle Constitution. Une étape symbolique, mais aussi stratégique : elle ouvre la voie à la consultation populaire prévue par référendum le 21 septembre prochain. Le texte fait désormais l’objet d’une campagne nationale de vulgarisation, initiée par le Gouvernement sur instructions du président, à l’issue d’un conseil interministériel extraordinaire tenu le vendredi dernier, élargi aux membres du CNRD.

Mais que contient vraiment ce projet constitutionnel qui sera soumis à l’approbation du peuple guinéen ? A première vue, quelques avancées notables méritent d’être soulignées.

D’abord, en matière linguistique, l’article 5 consacre une reconnaissance inédite : « les langues nationales, au même titre que le français, sont élevées au rang de langues officielles ». Le français reste toutefois la langue de travail. Symboliquement fort, ce choix marque une volonté de valoriser l’identité culturelle guinéenne.

Autre innovation citoyenne : le droit de pétition, réaffirmé à l’article 20. Mais cette fois, on lui confère un tel poids que les citoyens peuvent s’en prévaloir pour inscrire à l’ordre du jour du Parlement tout sujet soutenu par un nombre suffisant de signatures : « Lorsqu’ils (les citoyens, ndlr) rassemblent un nombre de signatures déterminé par la loi, la chambre compétente du parlement a l’obligation d’inscrire le sujet, objet de la pétition, à l’ordre du jour de sa séance plénière ». Et ce n’est pas tout. L’article 162, alinéa 3, introduit une disposition inédite : « (…) lorsque cinquante pour cent (50 %) au moins des électeurs inscrits sur les listes électorales nationales signent une pétition validée par la Cour constitutionnelle, un référendum est organisé dans les soixante (60) jours pour décider de la révocation du président de la République ». Une disposition forte qui vise à responsabiliser le pouvoir exécutif.

Sur le plan électoral, les candidatures indépendantes deviennent possibles pour les élections nationales. Conformément aux articles 45 et 103, un citoyen peut désormais briguer la magistrature suprême ou un siège au Parlement sans être adoubé par un parti. Cette disposition, longtemps espérée, ouvre le jeu démocratique, même si la prudence reste de mise : le mécanisme des parrainages pourrait en limiter l’accès réel.

Le texte redéfinit aussi les équilibres entre le président et son Premier ministre. Tandis que l’article 65 dispose que le président nomme « par décret, aux hautes fonctions civiles et militaires de l’Etat, sur la base des principes de probité, d’inclusion, de compétence et de représentation territoriale », l’article 84 confère au chef du gouvernement le pouvoir de nommer « aux emplois civils définis par une loi organique, sur la base des principes d’égalité, de probité, d’inclusion, de compétence et de représentation territoriale ». De quoi renforcer un peu la fonction jusqu’ici plutôt protocolaire de Premier ministre.

Quant au futur Sénat, l’article 112 lui donne un rôle consultatif : « Le Sénat, sur saisine du président de la République, donne son avis dans un délai n’excédant pas quinze (15) jours, sur les propositions de nomination aux hautes fonctions civiles (…) ». Un avis à émettre après audition des candidats à huis clos. Là encore, la portée réelle de ce mécanisme reste à prouver, d’autant que le président nomme un tiers des sénateurs.

La réaffirmation de la possibilité de poursuivre le président de la République en fonction devant une juridiction spéciale, notamment pour haute trahison, n’est pas non plus négligeable. D’autant que cette fois, via l’article 161, les actes constitutifs de haute trahison, sont précisés : « la violation du serment, les violations graves des droits humains, l’apologie du terrorisme, les atteintes à l’environnement ou aux ressources naturelles ». Une clarification nécessaire dans un contexte où l’impunité des dirigeants reste un enjeu majeur.

Mais tout n’est pas sans ambiguïté. L’article 74, dans son dernier alinéa, garantit aux anciens présidents « une immunité civile et pénale pour les actes accomplis dans l’exercice régulier de leur fonction ». Si certains y verront une mesure d’apaisement politique, d’autres redoutent qu’elle n’encourage l’impunité.

Enfin, la disposition de l’article 195 selon laquelle « la présente Constitution ne peut être invalidée ou suspendue par une quelconque déclaration », vise manifestement à dissuader les coups d’État. Mais dans les faits, aucun texte, aussi bien rédigé soit-il, ne peut contenir une rupture de fait imposée par la force.

En définitive, ce projet constitutionnel contient de réels motifs d’espoir. Il reflète un effort d’innovation démocratique et tente de mieux encadrer le pouvoir. Mais, comme toujours, la question cruciale reste celle de la mise en œuvre. La beauté d’un texte constitutionnel ne garantit pas son application. Tout dépendra de la capacité de la Guinée à se doter d’institutions fortes et d’hommes d’Etat à la hauteur de leurs responsabilités. En somme, c’est moins le texte que les pratiques politiques qui feront, demain, la différence.

Boubacar Sanso Barry

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